⊹ ⊹ ⊹
je cherchais trop longtemps, trop loin, trop haut sans doute.
Dédaigneux, dédaigné, je vécus à l'écart.
@charles baudelaire ~ le spleen de paris

L’homme se dirige vers la porte de la petite boutique et attrape sa veste. - je te laisse finir de ranger? Joignant le geste à la parole, il enfile le vêtement et dépose la clé sur un escabeau laissé non loin. - tu sais où laisser les clés en partant. N’oublie pas de fermer. Lance-t-il d’un ton entendu. Il n’a pas vraiment de reproche dans le ton. - ouais, ouais, c’est bon.
C’est un petit job de plus, qui vient s’ajouter à la liste déjà longue de ces emplois qu’il a exercés et désertés. Il s’ennuie vite, Ash, la routine le terrifie, l’âme qui ne tient pas en place. Il rêve d’autre chose, de plus grand, d’ailleurs, et parfois d’avant. Il est un gamin perdu dans un siècle trop gris et trop froid. Ce travail dans cette librairie, c’est un peu la fuite dont il rêve.

Seul avec les livres dans lesquels il se perd si souvent, il se sent véritablement libre, et paradoxalement, jamais aussi prisonnier de l’étroitesse d’Inverness.
Souvent, lorsqu’il y a un inventaire à faire, des nouveauté qui arrivent, il reste plus tard, beaucoup plus tard. C’est un accord tacite, il reste pour terminer et souvent, il lit jusqu’à l’aube, puis il ferme la boutique quelques heures seulement avant l’ouverture. Il lui est arrivé de s’endormir là, dans une allée, d’oublier le monde autour de lui tout simplement. C’est étrange, cette confiance qui s’est instaurée entre eux. Personne d’autre n’avait trop d’estime pour le garçon trop fantasque, trop peu fiable. Mais lui, il avait vu quelque chose… et puis il y avait l’amour des lettres. Il n’avait décemment pas pu fermer la porte à celui qui était entré en déclamant du Whitman.. Keep your splendid silent sun; keep your woods, O Nature, and the quiet places by the woods.  
Délaissant l’allée des romans policiers, il se laisse dériver vers le rayon poésie. Cette fois, les vers de Baudelaire l’emmènent et le temps n’existe plus. Il écume les pages, s’imprégnant des mots, comme l’albatros qui déploie ses ailes et s’échappe.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

Il tapote nerveusement sur l'ébène, ses ongles rongés abîment le meuble déjà usé par le passage du temps. Il observe la lumière du jour s'estomper de derrière les lourds rideaux de laine. Il a mal au cœur, Arthur, il crève de sentir le soleil sur sa peau, de respirer l’air du matin alors que la rosée doucement s’évapore à la caresse des premiers rayons. Il a mal au ventre, de cette faim qui l’étouffe et le dégoûte, comme un démon qui fait ses griffes en dedans. Il a mal, de partout, au fond de ses poumons l’air n’est que fumée et pétrole, insatiable incendie qui n’a de cesse de le torturer... jusqu’à ce que William lui tende un verre de cruor, délicieuse torture, satiété démérite, le jeune homme ne peut pas se retenir, comme chaque jour depuis sa transformation il se redécouvre esclave, dépendant d’un élixir de vie qu’il avait un jour juré de protéger, serf de l’obscurité, enfant oublié, disparu, orphelin d’une vie qu’il méprisait, certes, mais sa vie, à lui, pas celle qu’il vaut à son impétueux ancêtre.

Le jour fait place aux ténèbres. Il ne lui faut qu’un instant pour s’échapper.

Grand gamin balloté par le hasard, d’une rue à l’autre, sans pensée ni trajectoire, il respire son Inverness bercée d’éclats lunaires. Il a les poches vides, ni drogue ni promesse, ce soir il se fout de ses habituels échappatoires, de cet argent qu’il n’a plus vraiment besoin de gagner mais qui lui donne malgré tout un ultime sentiment de liberté, l’illusion de se suffire à lui-même, de contrôler quelque chose, même un rien. Cigarette au bord des lèvres, il traîne des pieds, son regard havane s’égare, quelques vitrines encore scintillent dans la nuit, halo de lumières qui l’hypnotise. Une boutique attire son attention, joyeux bazar de mots et de papier, curieuse collection de vieux et de moderne, hors du temps, un peu comme lui. Une cloche résonne doucement alors qu’il pousse la porte d’entrée, l’endroit paraît désert, un tableau d’un autre temps pour unique sentinelle. Ce n’est pas son univers, lui qui n’a jamais été attentif à l’école, branleur de première, chamailleur indiscipliné, toujours à détourner l’attention pourvu qu’on ignore son malêtre. Arthur n’avait jamais voulu devenir un chasseur, le sort a pris soin de joindre l’ironie à la table de son destin et le voilà, figé dans une jeunesse éternelle, personnification de tout ce que sa famille a juré d’éradiquer. Ses doigts frôlent les couvertures, soulignent les titres poétiques, s’aventurent à tourner quelques pages, il en murmure un passage, - We're little black sheep who've gone astray - damned from here to eternity, God ha’ mercy on such as we. Triste ricanement alors que les mots font écho dans sa psyché, douloureux rappel que les mots sont puissants, qu’ils tranchent à la faveur des souvenirs, aussi beaux que cruels, un coup au cœur.

⊹ ⊹ ⊹
je cherchais trop longtemps, trop loin, trop haut sans doute.
Dédaigneux, dédaigné, je vécus à l'écart.
@charles baudelaire ~ le spleen de paris

Il aurait dû entendre, mais il s’était déjà perdu dans les pages fragiles de ces ouvrages chéris. Le tintement de la cloche qui indique qu’on passe le seuil. Trop faible pour percer la brume de la rêverie éveillée dans laquelle il s’est réfugié. Le signe “fermé” indiqué sur la porte, jamais il ne se serait imaginé que quelqu’un passerait outre. Pourtant. Malgré ses airs calme, Inverness est un nid de petites frappes et malfrats en tout genre, et une entrée par effraction n'émeut plus grand monde. Les pas se rapprochent, réguliers, chaloupés. C’est la voix qui s’élève qui le tire de sa bulle, léger sursaut causé par la présence indétectée et surtout inattendue. - Wow, what are you doing here..didn’t quite get you as the book worm.. Il ne s’offusque pas tant de l’intrusion, mais plutôt de l’intrus.
Refermant le livre sur son index pour marquer la page où il s’est arrêté, il se retourne en direction de celui dont la voix d’ordinaire, ne se manifeste que par des ricanements en sourdine. - ... and quoting Kipling on top of that. Who knew. Sarcasme. Un bien léger retour de bâton pour toutes les fois où il avait assisté, passif, au lynchage en place publique, aux humiliations en tout genre. - turns out you can read.

C’est petit, c’est exactement tout ce qu’il s’était toujours promis de ne pas être, mais il y a eu trop de rounds, la colère ressurgit, jamais vraiment éteinte, jamais totalement apaisée. Masquée. Enfouie tout au plus. Il ne remarque pas que les choses ont changé, les années ont beau avoir passé, mais aucun des deux n’est le même, Arthur encore moins que lui. Il ne décèle pas les indices, faillibilité de l’oeil humain. - what are you doing here? La curiosité entre dans la danse, traîtresse. Il est intrigué, sans vraiment savoir pourquoi. Il devrait n’avoir qu’une idée, lui rendre tous les coups, les ecchymoses, y compris celle de l’âme. Pourtant, il y a autre chose, quasi imperceptible.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

Humain. Il l'a senti avant même que la figure adulescente n'apparaisse de derrière les rayons. Il se mord la lèvre, jusqu'au sang, le goût sur sa langue pour le distraire de la promesse d'un repas frais. À l'odeur seule il peut tracer la complexe carte des veines qui courent sous la chair fragile. Au bruit du sang qui court sous l'épiderme il devine la saveur, la texture du cruor sur les parois de sa gorge sèche. Control yourself. Il ne fait même pas attention à la verve vengeresse, pas instantanément, il lui paraît prendre des heures pour pouvoir se ressaisir. Try to think straight. Réponse réflexe de sale gosse, Arthur, après tout, n'a jamais été bien plus qu'un grand gamin au sourire sournois, alors c'est le masque qu'il choisit, infaillible devant tant de rancune. - turns out you can read. - ah, I deserved that. Il n'a pas besoin de regarder le jeune homme pour comprendre, se souvenir, des années de moqueries et lui, passif, alors que le monde autour s'en prenait au solitaire, à l'enfant d'ailleurs, celui à l'accent un peu différent dont le seul tort était de ne pas appartenir à un clan. - I never took you for the judgmental sort though, Ramsey. Et c'est là qu'il lève enfin le regard des pages de seconde-main. C'est à ce moment précis, entre les livres et l'amertume, que son éternité prend un tour incertain mais qui le définira à jamais, à cet instant si insignifiant dans la pagaille de son univers, lorsqu'il croise les opales bleutées aux pigments noisettes de son ancien compagnon de classe.

Un violent coup à l'estomac, le souffle court, tout autour qui s'écroule et s'assemble de nouveau, improbable spirale, son palpitant qui dérape, pulse et se contracte, incontrôlable, les paumes moites, la tête en vrac. Arthur s'est pris des coups sur la gueule, prince de la castagne et loser invétéré, il connaît la douleur de batailles perdues mais rien, jamais, n'a eu la sapidité de sa propre conscience qui l'abandonne, offerte aux mains tendues d'un destin cruel. Il ne comprend pas, il ne comprend rien, c'est perdre l'équilibre, se découvrir entier et esclave tout à la fois, sa propre vie ne lui appartient plus. What the fuck? - what are you doing here? La voix distante, résonne dans le lointain, homme à la mer il s'en accroche comme à une bouée, salvatrice, retour à la réalité, presque asphyxié. - Guess I must have got lost... qu'il parvient à ironiser, le ton tremblant, - ... feels like I've been on a bit of a bad trip. Tentative sans doute vaine de justifier son absence, sa distance, mais sa vanité refuse de se laisser aller au jeu des excuses. - That should fit what you think of me. What else huh? Because it seems like you have me all figured out already, don't you?

Il pose le livre sur un des rayonnages, pas le bon, mais qu’importe, il le remettra à sa place plus tard. Ou il l’empruntera, comme il lui est arrivé si souvent de le faire déjà. Il se bat contre un moulin à vent, Achilles; il ne se rend même pas compte, mais au fond, peu lui importe de faire face à plus fort que lui, c’est un peu une constante chez lui. Le masque, encore et toujours, rien qui n’adhère à la surface, rien qui compte assez, qui franchit la barrière sournoise de la passivité. Foutue apparence. Lui n’a jamais su user de cette arme là, lui qu’on lit comme un livre ouvert, qui porte son coeur et son âme en bandoulière. - Ah. I deserved that. Il ne tente même pas de riposter, ou de feindre ne serait-ce qu’une once de regret. Trop d’arrogance, le bouclier tellement typique de cette petite élite qui survit en circuit fermé. Il ricane. - Still on your bloody pedestal eh.. I guess I shouldn't even be surprised. Tous les coups, les moqueries sont loin, mais c’est l’absence de remords qui ravive la rancoeur. - Never took you for the judgmental sort though, Ramsey. Il rit jaune. - maybe i am. But then, i don’t imagine you’d know much about me. Only that i’m not one of you.. That was always enough for you wasn’t it..? Il crache ces paroles avec une certaine amertume; il n’y a plus le détachement d’autrefois, celle qui anime le coeur de ceux qui ne se préoccupent pas de ce qu’on pense d’eux.

La dérive, il la perçoit sans vraiment la comprendre; une emprise étrange, un tumulte qu’il n’arrive pas à déchiffrer. Ses mots sont décousus, il peine à rester cohérent. Les sourcils froncés. L’épisode ne dure quelques instants, et il reprend enfin le dessus. La défensive. - That should fit what you think of me. What else huh? Because it seems like you’ve got me all figured out already don’t you? Leurs regards se croisent. C’est peut-être la première fois que ça arrive après toutes ces années. Les prunelles anthracite, il ne se souvenait pas de cette lueur, à la fois grave et aussi un peu en proie à cette confusion, presque une sorte de détresse. - you’re wrong. Il a retrouvé un semblant de calme, et l’insolence au fond de ses yeux s’est ravivée. - i don’t have you figured out, that’d require me to think about you. Which i don’t.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

Arthur mentirait s'il disait que cette époque ne lui manquait pas. Il se contentait d'être, sans se soucier de vouloir s'en prendre à la jugulaire du premier venu. Son destin était tout tracé, il détestait ça, mais c'étaient des temps plus simples, où il lui suffisait de faire partie de ce tout toxique, cette bande de potes à la vie à la mort, liée par le secret de leurs familles respectives. Une bande de potes qui n'hésiterait pas à le tuer, s'ils savaient. Il n'est pas particulièrement fier de son comportement, même s'il n'avait jamais rien dit ou fait pour tyranniser Achilles, il n'avait jamais rien pour l'en empêcher, ce qui le rendait tout aussi coupable. Il comprend sa colère, ce qu'il ne saisit pas c'est son désir de régler ses comptes, après toutes ces années. - i don’t have you figured out, that’d require me to think about you. Which i don’t. - ouch. where was that fire in high school? le ton est moqueur, impitoyable - les vieilles habitudes ont la vie dure.

L'air s'épaissit, les battements du coeur d'Achilles, intensifiés par la rancoeur, résonnent dans ses oreilles comme une intolérable mélodie. Il se concentre sur les leçons données par son ancêtre, se remémore les astuces, ces petites choses pour se raccrocher à son humanité. Etrangement, il ne trouve pas de meilleure ancre que le jeune homme qui se tient face à lui. - we may have tortured you for not being one of 'us' but right now you are judging me for being of them, how does that make you any better than me?   L'un dans l'autre, leurs regards se soutiennent, sanctifiés à l'autel de leur histoire, instant qui retentira décuplé lorsque leurs éternités ne feront plus qu'une. - high school was five years ago Ramsey, in the grand scheme of things, really, it's time to move on. Il y a des choses tellement plus importantes, tellement plus douloureuses que la mémoire de quelques adolescents stupides - il voudrait lui dire, aussi, que le karma s'est déjà occupé de lui, que sa torture à lui ne fait que commencer, qu'il en a pour perpétuité à faire face à sa culpabilité et ses erreurs, qu'il n'a besoin qu'il en rajoute, pas ce soir, pas jamais. Il se laisse aller contre l'étagère, mains dans les poches, son impertinence comme couverture pour son malaise, néanmoins le dédain dans ses iris se transforme en une surprenante sincérité.  - for what it's worth. I'm sorry.

Il se surprend à s’interroger, à s’en vouloir même, d’attacher encore maintenant, de l’importance à ces années stupides. Pourquoi semble-t-il s’acharner à demander des comptes, alors que concrètement, ça fait bien longtemps qu’il ne pense plus à cette bande d’imbéciles qui se croyaient au dessus du reste du monde, par le seul fait de leur naissance dans les bonnes familles. A l’époque, il se foutait pas mal de tout ça, et c’était d’ailleurs une partie du problème; il n’accordait pas la moindre importance à ces règles non écrites, qui codifiaient le microcosme du lycée. Pire encore, il en prenait ouvertement le contre pied. Enfant rebelle. - where was that fire in high school. Le ton moqueur. On ne change pas les vieilles habitudes. - probably hiding. Along with your courage. Répartie lancée sur un ton factuel, sans la hargne qui pourtant, est encore là, sous-jacente.

L’échange est surréaliste, inattendu, pour le moins qu’on puisse en dire. Cocasse presque. - we may have tortured you for not being one of ‘us’ but right now you are judging me for being one of them, how does that make you any better than me? Il rirait, si ça n’était pas aussi, un peu pathétique. - you don’t get it do you… il ricane, et passe ses mains dans sa chevelure de jais, aux mèches toujours aussi indomptable. - i never said i was any better… for a start. Il se pince les lèvres, tic nerveux. Il y a quelque chose dans le regard d’Arthur, quelque chose d’électrisant, jamais décelé auparavant, mais il n’y prête pas vraiment attention. Un détail, de l’ordre de ceux qu’on remarque après avoir passé de longs moments sans voir un tableau, une… oeuvre? Qu’importe. - High school was five years ago Ramsey, in the grand scheme of things, really, it’s time to move on. Il rit franchement cette fois. - the grand scheme of things.. Wow. Nouveau pincement de lèvres, mordillées, comme souvent lorsqu’il réfléchit, ou qu’il est plongé dans une de ses lectures. Pendant quelques secondes, il ne sait pas quoi répondre, pris de court. Il y a un flottement, dans l’air, un drôle de changement qui s’opère. Le dédain a fait place à une certaine gravité, insoupçonnée vraiment. - for what it’s worth, i’m sorry. Il s’est laissé retomber contre une des étagères, le regard dans le vague. Instantanément, sans même qu’il le réalise, les choses prennent un autre tournant. - well,that wasn't that difficult, was it..? Il s’assied contre l’étagère d’en face, et le silence s’installe. - I’m serious though.. What are you doing here? Aren’t you supposed to be partying in some fancy nightclub? Ce n’est plus la moquerie, ou du moins, celle-ci est dénuée d’animosité.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

Si on lui avait décrit cette scène cinq ans plus tôt, Arthur aurait probablement rit, incrédule. Ça n'a l'air de rien, deux grands gamins dans une librairie baignée d'une lumière pâle, deux grands gamins que le destin a jeté dans le même coin du monde, au même moment, alors que la nuit dehors se fait plus sombre, plus noire encore. Un drôle de hasard. La vérité c'est que ces deux-là n'ont aucune raison de se retrouver au même endroit, opposés dès la naissance, aimants qui se repoussent, rejetons d'univers différents, tout devrait faire obstacle à une discussion civilisée et pourtant. - well,that wasn't that difficult, was it? Il hausse les épaules, lavant l'offense passée d'un sourire indolent. Confus. Arthur se sent confus, plus calme, il oublie presque les troubles de ces dernières semaines, la crainte et les combats qui font rage en dedans. Sans qu'il ne se s'explique, la présence d'Achilles a quelque chose d'apaisant. Le souvenir d'une époque plus simple, sans doute, ou la vision de ce qu'il aurait pu être, si son chemin n'avait jamais croisé celui de William. Juste un mec de vingt-trois ans, avec aucune idée de ce que la vie - ou la mort - lui réserve. - I’m serious though.. What are you doing here? Aren’t you supposed to be partying in some fancy nightclub? - And here I thought you weren't the kind to jump to conclusions. il lance, un brin railleur.

Une soirée à Cargo aurait été plus son style, c'est certain, et s'il était sûr de pouvoir se contrôler, il y serait, sans aucun doute. Que ce soit pour danser, s'oublier, ou vendre aux âmes assoiffées d'évasion la précieuse poudre blanche. - I haven't really been in the mood for going out lately. La peine de l'admettre à haute voix se ressent dans les tremblements lointains, presque imperceptibles mais bien présents, douloureux. Il cherche dans la poche de sa veste et porte le filtre à ses lèvres, sans cérémonie ni permission il craque une allumette, la flamme illumine son regard fatigué, presque fiévreux, mais aussi cette étincelle de malice, le délice de braver l'interdit. - Want some?

Trêve improbable, d’une surprenante facilité à la faveur de quelques mots, si simples mais au pouvoir trop souvent sous-estimé. Hache de guerre enterrée, aucune promesse de quoi que ce soit d’autre, mais c’est déjà un grand pas en avant. Hasard ou destinée, lequel des deux a jetés ses deux pantins dans l’arène: un lieu rarement fréquenté pour l’un et le refuge de l’autre, deux gosses fondamentalement opposés, qu’une force qu’ils ne soupçonnent même pas, met en présence. Le silence les enveloppe, chacun trop confus par ce qui vient de se produire, assimilant la nouvelle donne dans ce jeu sans règles. Pas habitués à se parler de façon civilisée, encore moins à passer du temps l’un avec l’autre, encore moins de leur propre initiative. Comme quoi, tout arrive. Interrogation réitérée, la curiosité est sincère, même si masquée sous l’apparence de la raillerie. - and here I thought you weren’t the one to jump to conclusions. L’échange aurait pu être banal, s’il avait été entre n’importe quels autres protagonistes. - You said that yourself. Sourire amusé au coin des lèvres, léger ricanement, teint de cette drôle de camaraderie qui s’est installée. - but for the record, i’m not jumping to conclusions… your reputation precedes you. Joute malicieuse.

Il joue avec les pages de ce recueil, celui qu’il parcourait avant l’arrivée de son compère inattendu. Geste distrait, pas vraiment maîtrisé, juste pour occuper les mains, masquer un vieux fond de malaise. - I haven’t been in the mood for going out lately. Les mots qu’ils n’aurait jamais cru entendre, de la bouche du plus jeune des Fraser, fêtard invétéré. - wow, that’s something i did not think could happen. You seem to be full of surprises Fraser. Toujours ce petit rictus au coin des lèvres, l’amusement un peu insolent aux dépens de l’autre.
Semblant chercher quelque chose dans la poche de son blazer, il finit par sortir le fameux sésame, le bonheur en poudre qu’il distribue contre des liasses de billets. - want some? Décidément, cette soirée est riche en surprises. - yeah, sure. Why not. Il a fait pas mal de conneries, Achilles, il a été l’adolescent que tous les parents redoutent: coucheries, alcool, cigarettes, joints.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

Hors du temps, hors du quotidien, comme une bulle protectrice qui se forme autour des jeunes adultes, cimentant les plans du destin. - but for the record, i’m not jumping to conclusions… your reputation precedes you. Arthur sourit, de ces sourires francs, sans entrave, de ces sourires auxquels il a si peu goûté ces dernières semaines, emprisonné dans une cellule fermée par des clés qu'il tient au creux de sa main. Il n'a pas eu le coeur à grand chose, ces derniers temps, à broyer du noir, surtout, à se plaindre et retracer toutes les décisions et les erreurs qui l'ont mené à embrasser l'éternité et la tristesse. Devenir un vampire c'est faire face aux émotions les plus enfouies, les plus violentes, celles que les hommes se dissimulent si facilement à eux-mêmes. Un luxe qu'il ne mérite plus, non lui il doit affronter ses démons au risque de se laisser contrôler par eux, il doit se battre contre ses peurs les plus crues, les plus vivaces, au risque de se faire dévorer par elles. Pourtant, là, à l'abri des yeux des Moires, il oublie ses craintes et les partitions cruelles du sort. Pour la première fois depuis ce qui lui semble des années il a tiré une bonne carte, il se sent en sécurité, en charge de sa destinée - oh s'il savait. - my reputation huh? seems like it's never more on people's lips than from the moment I stopped caring out it. Quand il a abandonné les moeurs et les croyances d'un entourage toxique.

- wow, that’s something i did not think could happen. You seem to be full of surprises Fraser. Il grimace, son nom de famille n'a plus la même saveur d'autrefois, ce qui - fut un temps - lui donnait l'espoir d'appartenir à quelque chose n'a plus qu'un goût rance. - Arthur. qu'il corrige le jeune homme, un peu plus abrupte qu'il ne l'aurait sans doute voulu. - yeah, sure. Why not. Il prend une longue inspiration puis lui tend le joint. - who's full of surprises now ? never took you for a stoner. La fumée s'échappe d'entre ses lèvres entrouvertes et il observe son compagnon d'infortune entre les volutes d'un étrange désir et celles du temps, suspendu, auxquelles il s'accroche, secondes d'infini où il veut rester caché. Ses opales dessinent les traits du visage d'Achilles, elles en étudient les lignes, les ombres, comme elles se contractent alors qu'il inspire le doux poison. - what about you ? nothing better to do than getting high with your high-school nemesis ? Pétillement dans le regard, de nouveau amusé par la situation.

Au milieu des romans, recueils de vers, au pli des siècles qui s’entrechoquent, un sourire. Celui qui illumine aussi le regard, d’une certaine façon, qui est sincère et pas seulement poli ou de circonstance. C’est étrange, la sensation que ce simple sourire, procure et fait irradier au fond de lui, sans qu’il s’en rende complètement compte. Il y a une sorte de candeur dans le moment qui se joue; ni l’un ni l’autre ne sont des enfants de choeur mais à cet instant, nichés dans les allées de cette petite librairie indépendante, ils ne sont pas ce que le monde projette. Il n’y a pas les attentes d’un clan pour l’un, l’incertitude pour l’autre, l’appartenance à rien. Pour une fois, ils ne sont que deux jeunes hommes, perdus dans un monde bien plus complexe qu’ils ne le voudraient, plus noir aussi. - my reputation huh? Seems like it’s never more on people’s lips than from the moment i stopped caring about it.. Le ton est désabusé, presque douloureux. Haussement d’épaules. Pas par indifférence, mais plutôt parce qu’il comprend, Achilles. Il ne sait que trop bien que tout ce qui sort du moule fait jaser. - People will always talk, gossip about what they don’t know. Trust me, I would know. Constat. Pas de volonté d’aucune sorte d’être pris en pitié, juste un ton tristement factuel.

L’inattendu, le moment de spontanéité se prolonge. Le joint a remplacé le calumet, clin d’oeil un peu sardonique à la vieille tradition. Volutes de fumée, poison dans l’air, dans les veines. Qu’importe, c’est bien peu de choses, un pied de nez à leur passé commun. - Arthur. Volonté nette, exprimée avec une véhémence pas réellement maîtrisée. Il ne s’en formalise pas. Il répète, du bout des lèvres. - Arthur. Il n’a jamais dit ce prénom, il sonne étrangement sur sa langue, comme une sorte de caresse. - Who’s full of surprises now? Never took you for a stoner.. Il lui tend le joint, qui passe entre les lèvres, délivrant son pouvoir. - What, did you think i’m just a loner that buries himself in books? Le temps s’est comme suspendu. Comme si, dans l’air, il se nouait, intangibles, les fils de deux destins. Une curieuse sensation enveloppe Achilles, l’enfant anonyme parmi ces clans formés, érodés par l’histoire, celle qu’on trouve dans les manuels. Il y a un drôle de bourdonnement, il n’arrive pas vraiment à mettre le doigt dessus. Est-ce un désir caché qui émerge petit à petit, ou bien l’hilarité, toute artificielle qu’elle est. - What about you? Nothing better to do than getting high with your high school nemesis? Il rit. - Well, work here in fact. Because, you know, some of us have to, to get by. Boutade, lancée avec ce même sourire en coin. Cette fois par contre, le regard l’accompagne, venant se poser sur les traits réguliers du visage de sa nemesis. - and then i stay here sometimes. It’s quiet. Il laisse échapper une bouffée de fumée avant de tendre de nouveau le joint.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

- Arthur. Le mot roule sur sa langue comme une promesse, blasphème qui se transforme en prière, ça lui fait l'effet d'une bombe, il a le souffle coupé. Ça lui plait, la façon dont son accent modifie les notes de son prénom, renforce le t et trahit son héritage francophone. Une seconde, une mélodie, son coeur qui bat. Le gamin déshérité ne comprend pas, puis l'instant passe, le temps reprend son cours, au fond de la boutique il discerne le bruit d'une horloge dont l'aiguille frappe les dix heures du soir. - What, did you think i’m just a loner that buries himself in books ? - well... Il n'en dit pas plus, se contente de rire, malicieux. Il ne sait pas, en vérité, ce qu'il pense d'Achilles. Il ne connaît que le gosse malmené, le gosse d'ailleurs, il ne sait pas s'il était arrivé en milieu d'année scolaire ou si, un jour comme un autre, sa bande avait décidé d'en faire leur nouvelle victime après l'avoir ignoré pendant des mois. Il ne sait pas, il ne s'est jamais intéressé à lui, il ne lui a jamais accordé plus d'un regard, trop honteux sans doute, c'était plus facile de ne pas lui porter trop d'attention, plus simple de balayer les faits sous le tapis du temps qui passe, sous le couvert de l'ignorance. Arthur a toujours été lâche, il essaie de convaincre que son émancipation était une preuve de courage mais en vain, il sait bien qu'il se ment, il s'est simplement libéré des chaînes d'un héritage empoisonné. Tout ça pour rien.

- Well, work here in fact. Because, you know, some of us have to, to get by. - At least some of us get to understand the value of things, before it's too late. Cryptique, lourd de sens, sans doute trop, il balaie sa réponse d'une revers de main, essaie d'en oublier les sous-entendus, les conséquences, toutes ces petits choses qu'il voudrait partager, cette rage qui bourdonne. - and then I stay here sometimes. It’s quiet. Le calme. Le calme n'existe plus pour Arthur, et c'est tant mieux, il ne supporte pas le silence, le silence n'est qu'une excuse pour mieux entendre ce qui gronde en dedans, le silence est meurtrier, il laisse trop de temps aux pensées pour se former et se construire, implacables, douloureuses, elles forment les pourquoi et les et si qui font si mal, toutes les possibilités, les alternatives, les choix qui auraient pu être différents, l'avenir qui paraît si incertain. Le silence est assassin, Arthur en a plus peur encore que d'affronter les menaces de sa nouvelle réalité. - really? I hate it when it's quiet. Il saisit le joint, ses doigts frôlent les siens, s'en suit un frisson, drôle de sensation, illusion d'un bonheur fugace. Il se redresse et sans cérémonie abat la distance qui les sépare, ne laissant entre eux qu'un espace infime, à la limite du confortable, se foutant bien de le mettre mal à l'aise, ou peut-être que si, peut-être que ça l'amuse, et avec un sourire il expire lentement la vapeur évanescente, en partageant les exhalaisons avec son complice d'un soir, étincelles de défiance et d'insolence dans le fond des yeux. - what do you do for fun then ?

L’horloge les rappelle à la réalité, brise l’espèce de charme qui s’était créé, le présent morne et froid semble reprendre ses droits. La bulle a éclaté. Arthur. Le prénom reste là, dans la mémoire de ses lèvres, informulé. Sonorité douce, lascive presque. Le murmure qui meurt dans la gorge. Il rit. Écho malicieux, juste une symétrie de leurs réactions, innocente à l’oeil non avisé. - well… la réponse, sans en être vraiment une, qui en dit long. - that’s ok, it’s kind of true. Il se fiche qu’on pense ça de lui, Achilles. Il a toujours été un peu comme ça; introverti, se tenant souvent à l’écart et préférant la compagnie des livres poussiéreux à celle de ses semblables qui ne le sont que de nom. On lui a toujours fait sentir que de toute façon, qu’il ne leur ressemblait pas, qu’il n’était pas admis à ce club imaginaire. Enfant chétif depuis son âge le plus tendre, binoclard pendant un temps, pour ne rien arranger. Et trop apprécié des professeurs pour son esprit et sa curiosité insatiable. L’élève modèle qui irrite par sa seule présence. Celui qui glâne tous les lauriers sans trop d’effort.

Dix heures sonnées. - At least some of us get to understand the value of things, before it’s too late. Phrase cryptique, double sens caché qu’il ne saisit pas vraiment. - care to elaborate? Il est intrigué, c’est plus fort que lui. Plus que l’évidence qui n’a pas vraiment d’intérêt, il cherche dans ces mots mystérieux, l’aveu entre les lignes.
Le silence pour seul témoin, les étagères remplies de livres, rien qui puisse perturber ce moment, propice aux confidences. - Really? I hate it when it’s quiet. Il y a cette agitation sous la surface, presque une certaine anxiété, quelque chose qui bout, qui gronde. Il le perçoit mais ne s’en imagine pas l’ampleur, au delà des mots, de sa réalité à lui.
Leurs doigts se frôlent, un éclair. Ou peut-être une électrocution. Infime durée, à peine ressentie. C’est une nouvelle forme de proximité qui s’installe, physique. Tangible. Peut-être trop. Il ne comprend pas, il ne cherche pas vraiment non plus. L’étincelle malicieuse, capricieuse dans le regard de l’autre, elle met ses sens en alerte d’une façon insoupçonnée. Il expire, la fumée vient s’interposer entre eux, dernier rempart. - What do you do for fun then? Quelques centimètres, le souffle qui chatouille la peau. Achilles aussi s’est redressé. Ils se jaugent un instant. Etrange lueur dans les prunelles véronèse. - I read poetry. Write too sometimes. La voix n’est plus qu’un murmure. - I play music. I'm just as uncool as you lot think. La nuque de son vis à vis, à la portée de ses lèvres, son souffle qui la titille, l'attitude qui dément ce qu'il vient juste d'affirmer.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

- care to elaborate? - someday, maybe. Il a les pensées ailleurs, Arthur. Lui qui pense maîtriser ses émotions est plus en proie à ses désirs qu'il ne l'a jamais été. Il a cette petite voix, ce murmure au creux de son oreille qui le pousse à l'insensé, douce folie à laquelle il obéit sans même l'entendre. Damnation éternelle dont il ignore la présence, traduite dans ses entrailles par une soudaine convoitise. Il a suffit d'un soupir, de leurs peaux qui se frôlent, pour qu'il perdre le sens de la réalité, qu'il agisse, sans raison ni parti pris, le doigt levé à la face d'un passé qui transpire l'ironie et les préjugés. - I read poetry. Write too sometimes (...) I play music. I'm just as uncool as you lot think. Il sourit, à l'innocence, à la simplicité de ses plaisirs, pas le moins du monde surpris par sa réponse. Cute. Achilles est de ces drôles d'entités qui n'appartiennent pas vraiment au présent, abandonnées par le temps qui passe, preuves corporelles mais éphémères de ce que l'humanité a de plus beau, une âme vagabonde en attente de son prochain hôte. Il pose une main sur l'étagère derrière Achilles, l'emprisonnant entre son propre corps et les bouquins qu'il affectionne tant.

Chaque pore de sa peau est gonflée d'une vie qu'il pensait ne jamais ressentir, lui cadavre magnifique que le sang des vivants insuffle d'une existence volée, charade de l'humanité, il se sent pourtant terriblement vivant, délicieusement vulnérable alors que le souffle d'Achilles dans son cou le fait frissonner. - that's all very nice ramsey, really, but those are hobbies. qu'il vient murmurer au plus près de sa peau, se mordant sa propre lèvre à défaut de se laisser tenter à mordiller l'oreille du mortel. - but I am talking about fun. Il ferme les paupières un instant, saoul de l'odeur du cruor et de sa douce chaleur humaine, pris de vertige par leur proximité. Son nez effleure sa joue alors qu'il recule légèrement son visage pour lui faire face de nouveau mais toujours proche, si proche, il peut presque imaginer sa bouche sur la sienne quand il lui susurre. - good, honest to god, out of this effing world kind of fun. Moment crucial, un baiser ou la distance, céder au tourment ou s'interdire de le vouloir, il suffirait d'un geste, minime, intime, pour le posséder, même l'espace d'un instant, satisfaire cette soif foudroyante, cette impossible attirance, venue de nulle part mais qui pourtant le domine tout entier. Il soupire puis, fidèle à lui-même, laisse l'amusement et la dérision prendre le dessus, crampon et irrévérencieux, comme à son habitude; il glisse sa main libre dans sa poche et en sort un petit sachet de poudre blanche, puis vient l'exposer au niveau de leurs regards, sans que le sien - bien que fiévreux - ne vacille, bien trop occupé à s'enivrer d'un tout autre genre de drogue.

Une phrase balancée, profondeur à peine effleurée, et aussitôt abandonnée, par peur peut-être de s’y noyer, d’y trouver des démons bien trop tenaces. - Someday, maybe. Sourire énigmatique pour seule réponse, promesse qui n’en est pas vraiment une, la fuite.
Il ne sait pas ce qui lui prend, Achilles, il s’est pris au jeu étonnamment rapidement, sans penser un instant à l’après, aux conséquences éventuelles. Il vit dans l’instant, comme il l’a toujours fait; parce qu’il est incapable de se montrer calculateur ou manipulateur, il est bien trop naïf pour ça. Ou trop droit, trop idéaliste sans doute aussi. Résolument d’un autre temps, il a l’âme d’un romantique: d’un Lamartine ou d’un Schiller et ce siècle est son naufrage, son abîme. - That’s all very nice Ramsey, really, but those are hobbies.
Coincé entre l’étagère et le corps enfiévré de son compère impromptu, il ne bouge pas d’un centimètre, ne cherchant pas à se libérer de cette quasi étreinte. L’odeur un peu entêtante, pas désagréable du reste, un peu boisée d’Arthur, a quelque chose d’étrangement sensuel, érotique presque; au moins autant que la posture dans laquelle ils se trouvent à cet instant dans le secret de cette librairie. Le souffle qui se fait plus court, l’urgence qui saisit, il la comprend, celle du feu au creux des reins, le désir qui s’éveille. - I’m talking about fun.

Le contact, à peine amorcé, tout juste en demi-teinte. Ils se font face, une proximité presque douloureuse. Rien de concret, juste quelques petites notes, en filigrane, comme un avant goût de quelque chose d’autre, de bien plus intense, qui se dessine sous les apparences de la dérision. Un petit sachet, avec à l’intérieur le sésame des fortunés qui veulent s’oublier le temps d’une soirée, un flirt fugace avec un bonheur complètement faux et volatile. - ah yeah? Il fait semblant de ne pas voir où Arthur veut en venir, il joue à l’ingénu, même s’il n’y croit pas lui-même. Et puis, juste pour le plaisir, pour jouer la carte de la surprise, il élimine la distance entre eux, mordillant la lèvre de son ancienne némésis. - I thought you meant that kind of fun. Lance-t-il, tandis qu’une de ses mains s’est glissée sur la peau, la hanche qu’il effleure sous le tissus du polo, son regard toujours planté dans celui de l’immortel.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

Maelstrom de sensations, entre les émotions qui l'étranglent et les désirs, incertains, chevillés à son corps d'éternel, Arthur se sent un peu perdu et pourtant il n'a aucun doute qu'il est exactement où il doit être, ici, entre les murs d'une vieille librairie dont les odeurs l'assaillent mais aucune autant que le parfum de son compagnon d'infortune. Il est perdu parce qu'il ne saisit pas l'immensité de ce qui est entrain de se produire, de ce qui se forme en dedans, son palpitant ne lui appartient plus. Comme dans une de ces histoires insensées où le héros s'offre corps et âme à sa bienaimée, qu'importe l'avenir et les risques, qu'il en meurt tant qu'elle peut vivre, qu'il en crève si ça lui permet de prendre même juste un seul autre souffle. Son âme soeur. Son autre. Cette moitié qui, sans qu'il le sache, lui manquait. Arthur est paumé, confus, il veut ne faire qu'un avec ce gamin du passé, le posséder et lui appartenir tout à la fois. Il fait ce qu'il sait de mieux, créer une diversion, plus pour lui que pour Achilles.

Mais il ne lui laisse pas une chance de s'échapper. Parce qu'Achilles est humain, si terriblement humain dans sa fragilité et sa mortalité et son air de n'en avoir que faire si demain ne vient jamais. Le jeune vampire a déjà oublié la crainte des jours qui passent et ne reviennent pas - remplacée en cet instant maudit par la peur de perdre l'humain dont il vient de s'éprendre, sans le savoir, contre son gré. Victime d'une magie un peu oubliée, secrête, dont on ne parle qu'entre l'aube et les regrets, là où l'on cache ces vérités qu'on préfère éviter, ces confidences qu'on ne se fait pas. - I thought you meant that kind of fun. Sa lèvre qui frôle la sienne, son corps tout entier à un mouvement de l'étreinte, il suffirait de si peu. Le regard de l'autre accroché au sien devient insupportable. Alors Arthur ferme les yeux. Tel est pris qui croyait prendre. - you'll kill me if you stop. Qu'il murmure, plus pour lui, comme une prière, si t'arrêtes maintenant Achilles, je ne sais pas ce que je vais faire. Et ça l'effraie, tellement. Il ne répond plus vraiment de lui-même, ses gestes dictés par quelque chose qu'il ne contrôle pas, au delà de sa conscience. Ses doigts se referment sur le col de son chandail, sa bouche presque contre sa bouche, son corps contre le sien, il l'emprisonne, Achilles n'a aucune chance si l'immortel en décide autrement, moment suspendu avant de franchir l'impensable, d'étancher une soif dont il ignorait l'existence. L'embrasser, sans barrière, rassuré par l'émoi, et terrifié, terrifié, terrifié.

Un tourbillon l’emporte, aussi doux qu’une brise printanière, et à la fois aussi vertigineux qu’une chute libre. Il ne sait pas vraiment ce qui l’a pris de faire ça, il l’a juste fait. C’est un jeu, une boutade sans mots, un pied de nez. Il ne soupçonne pas la mesure de ses actes, ce qu’ils représentent pour son compagnon inattendu. Grisé par la sensation, il reste immobile, figé dans l’instant, comme si rien d’autre n’importait. C’est son état d’esprit permanent à Achilles. Rien ne compte vraiment, que le moment présent, il ne pense pas à demain, parce que c’est trop loin, même pas garanti - pessimisme des anciens qui ne sont jamais bien loin, comme des diablotins perchés sur son épaule.
L’incendie, juste en dessous de l’épiderme, qui enfièvre la peau et le coeur. - you’ll kill me if you stop. A peine plus haut qu’un murmure, un souffle. Le baiser, urgent et désespéré; il mentirait s’il ne l’avait pas un peu cherché, Achilles. Il n’avait pas vraiment prévu d’aller jusque là, juste taquiner, jauger ses réactions, tester ses limites, voir où s’arrêtait l'esbroufe et s’il y avait quelque chose sous cet air qui se fout de tout. - what was that? What did you say?  Il interroge, l’air insolent au visage, faussement innocent, mutin.

L’emprise du dernier des Fraser se resserre, il lui barre la route, rendant toute échappée impossible, son visage à quelques centimètres du sien. Le souffle chatouille la peau de son cou, et c’est comme un coup porté à l’estomac, cette sensation qu’il reconnaît entre mille, qui naît au creux des reins. Pris de court, il reste immobile quelques instants, uncertain, dans ce corps à corps qui les dépasse tous les deux. Il résiste pourtant. Il donne l’illusion du contrôle. Il se donne l’illusion d’avoir les choses en main. La chaleur des lèvres contre les siennes est à deux doigts de l’emporter, mais il se détache. - What are you doing? Mais la vérité c’est qu’Il ne sait plus. Veut-il ce à quoi il vient de goûter ? Ou bien est-ce l’impulsion du moment, juste pour gagner une manche à un jeu dangereux.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

- what was that? what did you say? Il n'y avait pas pensé, à ces mots, Arthur connaît les mots qui fâchent, les mots qui tapent sur les nerfs, il connaît les petites choses qui agacent, c'est son point fort, il se joue des autres du bout de la langue, fourchue, vengeresse, affûtée. Il n'a jamais eu d'amour pour les mots, pas comme Achilles, il ne sait pas les subtilités qui se cachent sous les métaphores, les alexandrins, les allégories. Il connaît les mots qui tranchent, entrelacés avec sa voix sournoise, ses manières de n'en avoir rien à foutre, de tout, de rien. Il n'y avait pas pensé, à ces syllabes éperdues, implorantes. You'll kill me if you stop. Il espère que le poète n'a entendu qu'un incompréhensible murmure, parce qu'il ne peut pas l'expliquer, parce qu'il ne comprend pas l'étendue de sa prière, juste qu'il n'avait pas de meilleur moyen d'exprimer cette douleur dans le creux de son ventre. Et Achilles est son baume.

Oh s'il pouvait s'accrocher à ses lippes, le posséder, tisser son corps au sien, ne faire qu'un. L'immortel pensait que la soif était devenue son adversaire le plus redoutable, son besoin le plus primitif, mais ça, ce qu'il ressent, tout contre Achilles, n'a pas d'explication, ça n'a pas de sens, pire, il n'a aucune chance d'apprendre à le contrôler. On n'apprend pas ces choses-là, Arthur, on les subit. qu'Aslander lui dira, quand il saura enfin ce qui lui est tombé dessus. Il pose une main sur sa nuque, affirmant un peu plus son emprise, se délecte du feu qui prend furieusement dans ses entrailles, il veut passer la barrière de ses lèvres, approfondir le baiser... - what are you doing? Crashing back into reality. Le schisme est une claque, un coup de poing dans l'estomac, les os de son cou qui craquent encore sous la colère de son ancêtre. Il essaie maladroitement de reprendre l'étreinte mais l'instant s'est brisé, pourtant il reste immobile, beaucoup trop proche, au-delà de toute décence, son regard fiévreux capture celui du mortel, - Winning. qu'il parvient à souffler, se surprenant lui-même d'être parvenu à parler, à reprendre le jeu où il s'était égaré.

Le piège se referme, aussi inattendu que cruel. Il n’y avait aucun calcul, de la part de cet enfant aux airs d’ailleurs. Au début en tout cas. Il ne saurait dire à quel moment l’idée a germé dans son esprit insolent ni à quel instant il a décidé de jouer un tour à son visiteur imprévu, lui faire goûter à son propre jeu, l’y prendre sans qu’il ne voie rien venir. Quel pied de nez, trop tentant pour pouvoir y résister.
Mais Arthur n’est pas un novice à ce jeu, et il se rattrape aux branches de façon un peu maladroite mais qui ne trahit pas vraiment la surprise, le manque qui vient s’insinuer dans ses veines, attisant le feu qui fait rage sous l’épiderme. Sourire qui étire le coin des lèvres. Malice vénéneuse qui se répand dans chaque fibre de son être, au delà de ce qu’il soupçonnait possible. L’emprise se fait plus ferme, plus pressante, presque implorante, et c’est une douce victoire qui se dessine, même si elle n’est pas encore à portée de main.

La magie de l’instant s’est rompue, il n’y a plus cette communion - quoi qu’à peine entr’aperçue, entre eux. Leurs visages sont toujours à une distance dangereuse, et Achilles vacille presque, parce qu’il n’avait pas prévu de ressentir ce qu’il ressent à cet instant précis; il n’avait pas prévu que son propre corps le trahisse et s’embrase ainsi. Il capte le regard fiévreux de l’immortel, du sale gosse à qui - si on en croit les apparences - n’a jamais manqué de rien et dont les caprices rythment les jours. - Winning. Il laisse échapper un léger rire, un souffle. Le regard est brillant de cette insolente malice, mais il y a autre chose dans le fond, quelque chose de plus sourd, de plus profond, qui gronde dans ses entrailles aussi mais qu’il se force à ignorer. - you think? Il articule la voix légèrement moins assurée que d’ordinaire. Il profite de ce court instant de confusion pour inverser les rôles, les postures. Distance maintenue à son minimum, le souffle sur la peau du dernier des Fraser. Il ne s’aventure pas vers ses lèvres, trop de tentation, une boîte de pandore qu’il ne saurait probablement pas contrôler. A la place, il mordille la peau du cou, avant de murmurer - now that is winning. Arthur. Puis, avec tout le détachement qu’il parvient à rassembler, porte le coup de grâce. - you should probably go, i still have work to do. Il fait un pas en arrière, contemplant son adversaire.

⊹ ⊹ ⊹
... And there's a big part of me that wishes I never met you.
I preferred the emptiness in me when I didn't know it was there.
@beau taplin ~ vacancies

L'interlude s'éclipse. Il la sent qui lui échappe, fumée entre ses doigts, alors qu'il essaie de retenir ces secondes miracles qui feraient durer l'impossible, rien qu'un peu, juste le temps d'un baiser. Dans un instant, ce ne sera plus qu'un souvenir, un secret partagé entre l'immortel, Achilles et les fantômes silencieux qui se réfugient entre les manuscrits. Son éternité ne lui a jamais semblé si courte, et si longue à la fois, définie par cet instant, un avant et après Achilles. Achilles qui jusqu'alors n'était personne. Achilles qui jusqu'alors n'était qu'un lointain souvenir, du genre qu'on oublie. Un souvenir qu'il avait délibérément enterré, parce qu'il avait honte de la personne qu'il était à l'époque. Achilles qui n'était personne maintenant le fait trembler, lui l'éternel, il le tient à sa merci. Arthur n'ose rouvrir les yeux alors que les lèvres du jeune homme effleure la peau si vulnérable de son cou. - now that is winning. Arthur. Il lui semble perdre l'équilibre, le monde autour n'est plus qu'un trou béant dans lequel il ne cesse de chuter. You'll kill me... Achilles, you'll kill me if you stop.

- you should probably go, i still have work to do. Les yeux dans les yeux, entre rage, trouble et déception. Il veut hurler, même s'il sait qu'il a à peine la force d'un murmure, il veut se défaire de la confusion, se retrouver. Il veut se relever, se tenir droit, prendre de force ce que son corps réclame, l'embrasser, le faire gémir, lui prouver qu'il peut gagner, si l'envie lui prenait de ne lui laisser aucune chance. Il pourrait ne pas lui laisser le choix, il pourrait, il pourrait... Son instinct de prédateur semble prendre sur le dessus, l'appel du sang s'infiltre là où le désir le rendait presque aveugle un moment plus tôt. Il se redresse, se compose d'illusions et, épaule contre épaule, bouscule Achilles, trop impatient de s'échapper avant de se perdre, avant que la bête en lui ne prenne les rênes. Même s'il sait, là dans le fond de ses pensées confuses, qu'il est désormais incapable de le blesser. Fuir plutôt que de lui nuire. Alors il disparait, sans un mot, aussi simplement qu'il est venu, son ombre se confond avec la nuit. Until next time, Ramsey.