La ville paraît plus calme, une fois la nuit tombée, presque apaisée, mais ce n’est qu’un leurre, peu sont dupes, mais tous regardent dans l’autre direction. Ce qui s’y trame, une fois le voile nocturne tombé, personne ne le mentionne, car au fond, chacun y trouve plus ou moins son compte.
La tête dans les étoiles, littéralement, allongé sur la balustrade, le regard perdu dans les astres, il laisse son esprit vagabonder, une autre de ces rêveries dont il a le secret. Il aime venir là, quand la nuit est claire. Il repense à ces cartes du ciel, vue dans les quelques ouvrage d’astronomie auxquels il ne prêtait qu’une attention distraite. Bien incapable de dire les constellations, ni ne croyant vraiment à leur pouvoir sur les destinées. Cigarette au bout des doigts, il a sa musique dans les oreilles, grâce à ce vieil ipod, et il n’en faut pas plus pour le contenter.

Les notes majestueuses et pleines de mélancolie se fondent dans l’obscurité, l’enveloppe dans un univers encore une fois qui n’est pas le sien, qu’il s’approprie à la sauvette, pour ne penser à rien d’autre. Ne penser ni à cette étrange soirée dans les rayons de la librairie, et encore moins à la sensation de s’être fait prendre à son propre jeu; lui qui voulait se jouer de son ancienne némésis, s’est retrouvé piégé par son propre désir, insoupçonné. Confus. Il n’aurait jamais pensé que sa ruse se retournerait contre lui. Mais il se persuade que c’était juste un concours de circonstances, qu’il n’éprouve rien, qu’il n’y a pas cette curiosité, cette envie de voir ce qui se cache sous ce vernis, parce qu’il n’a pas rêvé, quand il a vu, l’espace de quelques instants, cette fragilité, la vulnérabilité qu’il ne connaît lui-même que trop.

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Anyone can see the space beneath the sky. Insomniac alibis
@ leoniden ~ 1990

La nuit, ce repère d'antan devenu habitat, condamné à s'y dissimuler, à jamais. Ses pas résonnent dans la ville silencieuse, à cette heure où même la furieuse Inverness semble s'être endormie. Arthur a les lèvres cramoisies et des larmes au bord des yeux. Miroirs de la douleur, de l'abandon. Derrière ses pupilles se rejouent sans cesse le rejet et le dégoût, le regard de sa soeur, sa propre éloge funèbre. Même s'il s'est enfuit, même s'il a renié son héritage, ses responsabilités, même s'il n'adhérait pas à leur folie, ils étaient sa famille, son clan. Les Frasers l'ont enterré - pour sauver leur honneur. Mort pour la cause. Bullshit. Mort pour un rien, mort de s'être retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, victime du caprice d'un monstre. Devenu monstre lui-même, buveur de sang, condamné à vivre à la dérobée, inhumain. Il se dégoûte. Et toutes ces émotions qui le torturent, toutes trop fortes, dévastatrices, intenables. Son poing s'écrase contre un mur, dans un espoir vain de taire ses sentiments, ses phalanges se brisent et il s'arrête un moment, regarde les os à blanc, les cailloux dans la chair écorchée et doucement la peau qui se referme jusqu'à ce qu'il ne reste de la blessure que les tâches d'un sang encore frais sur sa manche. Monster. qu'il se répète, encore et encore. Monster. Encore et encore. Maybe they're right. You'd be better off dead.

Au bord du vide. Au bord d'une vie volée, il devrait être mort. Il y a déjà une pierre tombale à son nom, il n'a qu'à fournir un corps pour reposer sous son ombre. Son chagrin lui parait insurmontable, démultiplié par sa condition, unique émotion qui transparaît dans la nuit noire, ça et les pavés, au loin, à ses pieds, est-ce que la chute le tuerait ? Probablement pas. If I end up on that piece of wood, maybe. Mais il n'est pas du genre chanceux, Arthur, du moins il ne croit pas, il ne sait pas, pas encore, ce que les soeurs du destin ont tissé pour lui. Il repensera à ce toit, un jour, au désespoir et à la peur, il se dira qu'il suffisait d'attendre, de faire confiance à l'avenir. Mais maintenant, sous la couverture céleste il ne pense qu'à sa solitude et son propre cri déchire la nuit, toute sa douleur, tout son malêtre, et le sel qui roule sur ses joues à un goût amer. Ce soir, Arthur est orphelin d'une existence dont il ne voulait pourtant pas, orphelin d'un avenir qui ne lui appartient plus. Seul, terriblement seul.  

Il s’est laissé aller, il a fermé les yeux, bercé par cette musique qui adoucit l’existence insignifiante; une vie désespérément creuse et étriquée, dans une ville corrompue qu’il n’a pas choisie, celle qui a pourtant accueilli ses premiers cris de nouveau né, dans les faubourgs modestes et désolés. Il tire une nouvelle fois sur cette cigarette qui s’est presque entièrement consumée, oubliée, et qui a manqué de lui brûler les doigts. Dernières volutes de fumée qui s’échappent d’entre ses lèvres. Cette solitude, ils la lui ont imposée parce qu’il n’était pas comme eux, pas né dans la bonne famille. Alors il l’a fait sienne, compagne silencieuse, apaisante, sans le murmure incessant, les chuchotements insipides des paroles lancées pour tuer le temps. Emporté dans le romantisme noir du génie japonais, loin, si loin d’Inverness et de tout ce qui s’y joue, il a sursauté en entendant le cri déchirant. Il se redresse et tend l’oreille, débarrassée de l’écouteur. Il attend de voir si c’était bel et bien réel et non un produit de son imagination.

L’écho prolonge la plainte, douloureuse expression d’un mal-être trop profond pour rester muet. Alors par acquis de conscience, il se lève, et après avoir écrasé son mégot, fait quelques pas dans la direction dont, il lui semble, venait le cri. Il était tout près, vraisemblablement. Quelques sanglots étouffés le guident, la nuit ne permet pas de distinguer grand chose, surtout dans cette partie de la ville, un peu laissée pour compte, qui s’enfonce dans sa propre fange. Il avance à pas de loup, aussi discret que possible. S’il y a quelqu’un qui pensait trouver un peu de tranquillité, il ne voudrait pas tout gâcher. La surface de ce toit d’immeuble n’est pas infinie, il ne faut pas plus de quelques secondes supplémentaires pour finalement découvrir d’où venait l’alerte désespérée. Une silhouette, il n’en distingue pas beaucoup plus, se tient à quelques centimètres du vide. - hey. Il ne sait pas trop quoi dire. Merde, il ne s’était pas attendu à ça, Achilles, et il ne sait pas comment réagir. - please don’t do this. Pourquoi implore-t-il? Aucune idée, ça lui est venu comme ça. - whatever is troubling you, this isn’t the answer. La mort, lui ne la voit pas comme une ennemie. Il l’avait souvent invoquée même, quelques fois. Il a trop lu à son sujet, c’est un peu comme si elle était une vieille amie.

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@ leoniden ~ 1990

Il voudrait être saoul. Il voudrait sentir dans ses veines la fureur d'un trop plein d'alcool, il voudrait vaciller sous le coup d'une liqueur trop forte pour son corps d'humain. Mais il n'est plus humain, Arthur, c'est une éternité qui roule sous sa peau pâle, une infinité qui lui donne le vertige. La chute paraît belle, s'envoler, pour un instant, puis le bitume, implacable, une fin banale, mais une fin, au moins, une échappée hideuse. Sauf qu'on lui a même ôté le droit d'en finir. Peut-être qu'il attendra simplement le jour. I could go up in flames, that'd be a fitting end. C'était sa philosophie de la vie, avant la mort, brûler une bonne fois pour toute plutôt que d'attendre et de s'éteindre. Ça serait presque poétique, un ultime lever de soleil, une dernière aube.  

Il n'est pas seul. Sur ce toit. Un frisson dans la nuque l'alerte de la présence d'un intru. Il n'a pas besoin de se retourner, ni même de l'entendre. Achilles. Son coeur rate un battement. trop préoccupé par sa misère il avait ignoré les signes. Of all the roofs in town. qu'il pense, honteux de s'être fait prendre, pis encore de s'être fait prendre par son ancien camarade de classe. Drôle de sensation dans le creux de son ventre, l'envie de faire un pas en arrière, la chute ne paraît plus si tentante. Une chute et ça pourrait être des mondes entre eux, un voile infranchissable. Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Et pourquoi il penserait à lui... pourquoi ? Comme il a pensé à lui chaque nuit depuis leur tête-à-tête impromptu. - hey. De sa paume il essaie de chasser les larmes qui ont ravagé ses joues mais son regard ne trompe pas, les yeux gonflés de son affliction. Il considère la fuite. - please don’t do this. Il ne l'a pas reconnu, pas encore, il pourrait s'en aller, sans un mot, s'épargner l'humiliation. - whatever is troubling you, this isn’t the answer. Il renifle, il ricane tristement, ses pieds oh si près du vide, il suffirait de si peu.  - and how would you know what's troubling me ramsey? qu'il lance, âpre, son ton teinté d'une malice cruelle.

De toutes les personnes qui auraient eu des idées sombres, de tous les points culminants de la ville, il a fallu que le destin, farceur, les choisisse eux. Il n’avait pas reconnu la silhouette, de dos, de son ancienne némésis, mais maintenant, la voix ne laisse plus de place au doute d’autant que la façon de cracher son nom comme s’il était corrosif, n’appartient qu’à lui. A cet instant, il voudrait être dans mille autres endroits, Achilles. Partout sauf là, sur ce toit, témoin de cette douleur qui prend aux tripes et fait écho à celle qu’il a bien connue lui aussi, quelques années plus tôt. Il a le coeur qui bat à mille à l’heure, mais c’est uniquement de la compassion, rien d’autre; c’est seulement parce qu’il ne sait que trop bien ce que c’est quand on ne sait plus dans quelle direction se tourner pour voir les choses sous un meilleur jour.
Il ravale sa salive, le moment n’est sans doute pas aux commentaires mesquins, il s’agit d’abord de ramener Arthur, l’éloigner du vide vers lequel il veut s’abandonner. - and how would you know what’s troubling me, Ramsey? Il a raison, il n’en sait rien. - I didn’t say I knew. Admet-il d’un ton étonnamment calme, posé. Jamais il n’aurait soupçonné un tel sang froid, une telle contenance face à une situation pareille. - but maybe you can tell me?

Doucement, il fait un pas en avant, juste un. Il ne sait pas trop d’où lui vient cette façon d’agir, il laisse l’instinct le guider, et pour l’instant, ça semble ne pas aggraver les choses, faute de les apaiser. - I may be just a nobody, a bookworm...il sait le sobriquet qui lui collait à la peau, et d’ailleurs, ça l’a toujours un peu amusé. Au moins, ça, c’était quelque chose qu’il pouvait accepter sans difficulté. - but I'm also a good listenner. Besides, sometimes, books give you answers you wouldn’t suspect. Il hésite à lancer un trait d’humour. Il ouvre la bouche puis la referme, jugeant préférable d’attendre que son ancien camarade de classe se soit éloigné du bord pour de bon. - And sometimes, life can surprise you. L’expérience qu’il a n’est pas si riche que ça, et pourtant, il a appris quelques petites choses depuis que leurs routes se sont séparées et que leurs quotidiens ne sont plus entremêlés.

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@ leoniden ~ 1990

- but maybe you can tell me? L'air siffle dans ses oreilles, il perçoit au loin une musique d'un autre temps, venir des écouteurs du mortel, il se concentre sur les notes, il les connaît. Les connaît-il vraiment, ou parce qu'Achilles les connaît? Douce mélancholie, calme au delà de sa tempête. Il ferme les yeux, écoute la mélodie du corps d'Achilles, l'ichor qui se hâte dans ses veines, jusqu'à ce palpitant qui redistribue l'élixir en un concert de pulsations et de frémissements. Il est inquiet. Du moins c'est ce à quoi Arthur voudrait s'accrocher, y croire, même rien qu'un peu, que quelqu'un, même n'importe qui, en ait quelque chose à foutre de sa gueule d'égaré. Il ne veut plus se sentir seul, il en a marre de n'être ni mort ni vivant, d'être paumé, incapable de s'orienter. My brother is dead. Sa semelle glisse, il se rattrape de justesse.

- I may be just a nobody, you're so much more, I wish I could understand. a bookworm... True. - but I'm also a good listener. Besides, sometimes, books give you answers you wouldn’t suspect. - are you so pretentious you think your books have all the bloody answers ?   méchant, il veut le blesser à défaut de pouvoir se faire mal, parce que c'est lui, parce que rien n'a de sens, parce qu'à travers lui, il saccage son propre coeur. - And sometimes, life can surprise you Maudit myocarde, qui bat, qui bat, violemment, à lui déchirer la poitrine, et il crache ses souffrances, la voix brisée, rincée d'une ironie dévastatrice, il s'en fout si ça n'a pas de sens, si c'est la vérité, des arcanes saugrenues. so tell me ramsey, please, tell me, what do your precious books say about a family that'd rather consider their own son dead than dealing with what he is. go ahead, enlighten me. féroce, il plante son regard dans celui de l'humain. - you got a minute, bookworm, surprise me. qu'il lance, faisant écho à ses propres mots, défiant, un brin dément, dans un sanglot étouffé. Une manière de dire, if you convince me maybe I won't jump. Il marche sur le rebord, dérape un peu, équilibriste maladroit, le cosmos au dessus ignore ses infamies, pris de pitié.

Il scrute les signes, cherche les indices dans les mouvements, les petites choses auxquelles on ne prête pas attention en temps normal, cette gestuelle qui accompagne les paroles et qui trahissent ce que les mots ne disent pas. Il est aux aguets, le regard fixé sur l’ancienne némésis, une certaine angoisse qui le prend en dedans, qui gronde sous l’épiderme. Le pied glisse, et l’équilibre fragile, précaire, retrouvé de justesse. Les battements du coeur qui s’accélèrent, puis le soupir, quasi inaudible. Il ne sait pas ce qu’il aurait fait, Achilles, si celui qui, de façon pernicieuse occupe certaines pensées, avait basculé. Soudain cette idée le terrifie. Il ne sait pas exactement du haut de combien d’étages ils surplombent la ville, mais probablement suffisamment pour que la chute soit fatale, sans doute. Et il n’y a pas âme qui vive dans les environs, juste eux deux, seuls dans la nuit fraîche d’Inverness, la brise nocturne pour unique témoin. - are you so pretentious you think your books have all the bloody answers? Langue fourchue, pour faire mal, méchanceté gratuite. Il pourrait s’en offenser, mais il ne réagit pas. Il reconnaît la véhémence de l’animal en détresse.
Il hausse les épaules. Le venin n’a pas fini de se déverser, mais qu’importe, il a développé cette sorte d’immunité, bouclier constitué après avoir été la cible pendant des années qu’il a cessé de compter. - so tell me Ramsey, please tell me what do your precious books say about a family that’d rather consider their own son dead rather than dealing with what he is? Go ahead, enlighten me. Il se veut féroce, hargneux, un sanglot étouffé dans la voix, la voix qui flanche et se brise sous la colère, un chagrin trop lourd à porter. Il ne peut que compatir, Achilles.

Le regard s’est enfin levé, de ses pieds, du vide juste en dessous, vers lui, peut-être aussi vers un retour. Le visage marqué par les larmes salées, l’image est presque douloureuse, parce que c’est l’écho presque parfait de ses propres doutes, de ses peurs les plus profondes qui lui est renvoyé. Il n’avait pas prévu ça, et ça lui revient de plein fouet au visage. - you got a minute, bookworm, surprise me. Un sourire un peu narquois, l’air de dire qu’il ne sautera peut-être pas si la réponse est assez convaincante. Lourde tâche, mais il n’a d’autre choix que de relever le défi. - Fine. but if you had bothered to open one… un livre, car Arthur n’avait pas la réputation d’aimer le silence et les mots. - you’d have realised that the answers are not handed to you on a silver platter. The answers, they have multiple forms. Il pose les yeux, à son tour, sur Arthur, sur le corps qui tremble, qui vacille sous le poids des peurs et des interrogations sans réponses. - they give you hope, the strength, they show you whatever you could aspire to, all that you can be. Il va dépasser la minute imposée. Il l’a sûrement déjà consommée, mais tant pis. - they show you that beauty can be found any where. S’il continue, il va perdre de vue la question principale. - As for family, they say that blood doesn’t define it. So maybe the one you mention, isn’t one to begin with? Il ne sait pas s’il aura convaincu ou même interpellé le dernier des Fraser, mais il a essayé, avec toute l’authenticité et la candeur passionnée qui l’anime. - by the way, I have a first name, you know that right? Il fait un pas en avant, un pas vers le rebord, un unique pas pour combler la distance.

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@ leoniden ~ 1990

Le malêtre est profond, il le dévore depuis des années et ses démons sont voraces, ils ont des griffes aiguisées, elles sont avares de ses entrailles, elles laissent en guise de cicatrices des maux impossibles à surmonter. Pas tout seul, pas dans cette chambre sans porte ni fenêtre dont les murs semblent se refermer autour de lui. Dans cette prison de l'âme, même l'écho de sa propre voix le terrifie. - Fine. but if you had bothered to open one, you’d have realised that the answers are not handed to you on a silver platter. The answers, they have multiple forms. Et si Achilles était sa réponse, déguisée sous des traits juvéniles et une éloquence d'une autre époque, vision tronquée du temps qui passe et qui s'échappe, des erreurs de jeunesse et miroir de sa propre lâcheté. Oh s'il savait, s'il savait comme il était brave, de refuser les enseignements de sa famille, de penser pour lui-même, d'avoir le courage de tout envoyer en l'air, de briser ses chaînes. Il ne le voit pas ; il ne voit qu'un amour qui n'existait pas, et son reflet qui lui rappelle sans cesse ses échecs, la balafre qui lui barre le visage comme éternel souvenir de ses faiblesses, de sa couardise. - they give you hope, the strength, they show you whatever you could aspire to, all that you can be. - There's nothing left for me to be. Il a cessé de jouer aux funambules, maintenant immobile sur son piédestal. Il voit flou, les larmes lui dévorent les yeux, il a la gorge serrée, le coeur au bord des lèvres.  - they show you that beauty can be found anywhere. Not good enough. - Death is the mother of beauty. qu'il récite avec un rire sombre. Un livre au hasard dans la bibliothèque de la demeure Asquith et beaucoup d'heures à ne rien pouvoir faire tant qu'Helios parcourt les cieux avec son char de lumière. Des lignes qui résonnent ce soir dans sa caboche déjà trop pleine de doutes, même s'il n'en comprend pas le sens, ce soir il les fait siennes, pour servir son but. - Beauty is terror. Il refuse de s'attacher à l'espoir. Peut-être simplement parce qu'il n'en vaut pas la peine.

- As for family, they say that blood doesn’t define it. So maybe the one you mention, isn’t one to begin with? Douce musique à ses oreilles, si seulement, si seulement ces mots étaient vrais, si seulement il suffisait de se construire sa propre famille, il a essayé, ça l'a entraîné dans des jeux cruels, des jeux qui ont blessé Achilles. - They buried me. Ses mains tremblent, tout son corps frissonne sous la force des révélations. Le dire, ça fait encore plus mal, ça rend tout si terriblement réel. Looks like I'm going through fucking withdrawal. Il sert les poings, tentative désespérée de se contrôler, de ne pas laisser les émotions surpasser encore davantage sa raison. - If you go down to the old cemetery, you'll see a tombstone with my name on it. Sang ou pas, le geste est féroce, symbolique. Arthur est devenu un monstre et si même eux ne veulent pas lui donner une chance, si même sa soeur nie son existence, que lui reste-t-il ? - by the way, I have a first name, you know that right? Il fronce les sourcils, pris de court, il ne s'attendait pas à cette question, il ne remarque même pas qu'il s'est rapproché. Un peu déconcerté, Arthur oublie un peu ce qu'il fait là, l'espace d'une seconde il est de nouveau dans la libraire. Les murs de sa prison se font plus colorés, il respire, il sent les vieilles pages et les couvertures d'autrefois, l'odeur du bois sous ses doigts crispés, le parfum d'Achilles sous ses lèvres affamées. Il déglutit, puis sans trop réfléchir, - I'd know your name even if I knew nothing. Il essuie ses larmes d'un revers de manche. Il n'est plus seul dans le noir.

Là. Pendant un court instant, il a vu les ombres qui tourmentent, rapaces intangibles, immatérielles qui resserrent leurs prise sur l’âme et la brise comme une vulgaire brindille sous les pas. Dans l’espace de quelques secondes, il mesure l’ampleur de la détresse qui l’emprisonne au fond de lui-même, dans une obscurité dont rien ne vient à bout. Et il connaît cette lutte pour ne pas se laisser aller au désespoir, ne pas abandonner, ne pas se laisser broyer,  juste survivre, prendre une autre inspiration. Il connaît la tentation, de simplement attendre que tout s’arrête enfin. Il n’a jamais envisagé de sauter dans le vide, mais il a souhaité plus d’une fois être cueilli par la mort, vieille comparse fuyante ne répondant qu’à ses propres règles, agissant à un rythme connu d’elle seule. - There’s nothing left for me to be. Cette phrase à elle seule, est bien plus assassine que les piques lancées quelques instants plus tôt. Parce que c’est sa malédiction à lui, à Achilles. Parce qu’il ressent avec trop d’acuité, il brûle plus ardemment que les autres, il absorbe les émotions qui l’entourent, et celles d’Arthur, elles font saigner le coeur. Son visage renvoie le reflet de cette souffrance, il en a presque les larmes aux yeux, mais il retient les traitresses salées. Pour une fois, il n’a rien à répondre, pas de sagesse arrachée aux pages des livres qu’il aime tant et qui ont, tant de fois, été sa planche de salut. - you can be you. Les mots ont franchi la barrière de ses lèvres ans qu’il ne les commande vraiment; ils ont été placés là par une inspiration soudaine.

Immobile au bord du gouffre, ils sont là, à quelques pas l’un de l’autre, à une distance qui rappelle cette soirée entre les rayons de la librairie. - Death is the mother of beauty. La référence le fait sourire. Il y a donc, enfoui, un petit espoir. - Beauty is rarely soft of consolatory. Genuine beauty is always quite alarming. Complète-t-il. Une petite connivence, aussi brève soit-elle, c’est d’une certaine façon, une victoire sur la noirceur, et c’est bon à prendre. - They buried me. Les charognes reprennent le dessus, semant le trouble et le chaos dans leur sillage. - If you go down the old cemetery, you’ll see a tombstone with my name on it. Il n’est pas sûr de la portée réelle de ces phrases, il les voit comme des figures de style, parce que… que pourraient-elles être d’autre au fond? - Then maybe you should have a proper funeral. Then you can reinvent yourself.. La théorie vaut ce qu’elle vaut, mais il faut bien croire à quelque chose, tuer le néant qui menace.

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@ leoniden ~ 1990

Il est si proche, à portée de main, il suffirait de si peu pour goûter de nouveau à l'intimité de leur brève étreinte, se perdre un peu dans les bras de cette humanité fragile. Il a l'coeur qui bat, Achilles est la seule éclaircie dans la tempête qui fait rage autour de lui, entre les voix qui rappellent l'échec et les rires qui font résonner la solitude. Les mots d'Achilles comme un écho dans la folie, l'unique raison pour s'accrocher encore. Les émotions se chamboulent, s'entrechoquent, incertaines et trop nombreuses. La peur, la peine, l'appel du vide, la tendresse, le désir, l'impossible. - you can be you. Des paroles simples, comme ça paraît facile, être soi, être bien, libre d'aimer, de vivre, de rire, libre de ne pas être le fruit des regrets des siens, libre, libre, de se construire à nouveau, de s'inventer différent, de s'inventer heureux. Il suffirait de si peu, peut-être simplement de saisir la main d'un destin obscur mais un destin malgré tout. Est-ce qu'il pourrait faire ça ? Se donner une chance ? Si seulement, malheureusement, - me has never been good enough.

Il ne le croit pas, il ne sait pas, il ne lui en veut pas, comment pourrait-il imaginer qu'une famille puisse faire ça à l'un de leurs enfants. La pierre est bien réelle pourtant et elle pèse sur sa conscience comme une ancre, Arthur continue de s'enfoncer, il se noie un peu plus à chaque respiration. - Then maybe you should have a proper funeral. Then you can reinvent yourself. Il a un petit sourire qui naît au coin de ses lèvres salées, l'idée est belle. Il y pense un moment, mais Achilles est un idéaliste, ses livres l'ont probablement nourri de l'illusion que tout peut aller mieux si on se donne la force d'y croire. C'est beau, presque romantique, tellement humain. - Reinvent myself ? And what I am supposed to become Achilles ? Il prononce enfin son prénom, ça sonne comme un appel au secours. Il compte ses options, bat désespérément des cartes usées d'avoir trop essayé. I am who I am.  La détresse l'étrangle et il peine à prendre son souffle. I am lost and alone and the walls are closing in. Il essaie en vain de taire les souvenirs, les mains sur les oreilles, les paupières closes, il fait un pas en arrière, retient ses cris.

Worthless piece of shit.

Can't make a soldier out of a coward.

If only you were more like your sister.

My brother is dead.

Il rouvre les yeux, injectés de panique, de tristesse, de tout ce poids qui l'épuise. - I am stuck in between life and death, my own family rather have me dead, I don't have a friend left standing beside me and then there's you and that bloody thirst that won't let me be.  Les aveux sont saccadés, frissonants, ils répondent aux questions qui flottent autour des deux silhouettes qui se dessinent dans la nuit noire, elles forcent la barrière de ses inhibitions, il s'en fout si ça pas de sens, au moins c'est la vérité, chaque révélation comme un coup de couteau mais aussi une autre brasse vers la surface, peut-être qu'il faut toucher le fond avant de pouvoir remonter, peut-être qu'il suffit de ça, peut-être qu'il suffit de faire confiance à l'homme qui se tient en face de lui, qu'importe la déraison et ses joues striées de larmes. Why do I trust you so much ? - I've got no one. Only voices in my head, telling me I'm not worth anything.

Il ne reste plus rien des artifices, des pirouettes insolentes auxquelles il avait habitué le monde. Tout, ce soir, n’est plus que la plus stricte franchise, l'amertume, une détresse infinie, bien trop lourde pour ses épaules. Il n’y a plus que cet état de vulnérabilité, tellement sincère, tellement touchant; l’émotion le prend aux tripes, Achilles, il ne faiblit pas, mais au prix d’un contrôle qu’il ne se connaissait pas. Il fait face aux doutes, au désarroi d’Arthur, sans savoir réellement comment l’en dépétrer.
Son coeur se fend, en entendant les mots qui sortent d’eux même, las d’avoir été trop longtemps retenus, enfouis. - me has never been good enough. Ça lui fait mal d’entendre ça, d’autant plus qu’il n’aurait jamais soupçonné un tel mal être, même lorsqu’ils s’étaient revus, dans le secret des rayonnages de la librairie, dans une intimité malicieuse, moqueuse. Avant ça, les souvenirs sont flous, il n’a pas tellement gardé en mémoire les traits finement dessinés, le visage barré de ces cicatrices qu’il ne semblait pas avoir remarqué avant. Ou peut-être n’y avait-il pas prêté suffisamment attention. - why? Question qui n’est pas seulement rhétorique. C’est un peu cliché, mais il s’était toujours imaginé Arthur comme celui qui a toujours vu tous ses caprices exaucés, l’enfant roi, l’enfant adulé qui n’a jamais eu à se soucier de rien. Il réalise à quel point, il était loin du compte.

Un autre pas, doucement, presque imperceptible. Son prénom, dans la bouche de son ancien ennemi, tortionnaire indirect, il ravive cette étrange sensation au creux de l’estomac, foyer de chaleur qui n’a pas sa place dans le contexte de cette nuit trop sombre. Les livres qui les entouraient l’autre soir réapparaissent dans sa mémoire, furtivement et il revoit à nouveau cette proximité taquine. Le souvenir est vite chassé. - What am I supposed to become, Achilles? Il sourit. Sans jeu, ni joute. - That’s not for me to say, only you can answer that question. Quelques secondes de silence, la vie qui semble mises sur pause. Il observe le funambule, il voudrait lui redonner l’équilibre, ailleurs qu’au dessus du vide. Il ne comprend pas tout de ce nouvel aveu dont il ne saisit pas toute la portée. - I know how scary and lonely it gets, sometimes, and the pain that chokes you. But you are stronger than that even though you can’t see it just yet. Il tend la main, sans même savoir ce qui dicte son geste; laissant l’instinct le guider. - maybe all this is a sign telling you to let go of those chains; the past that holds you back. Il ne se doute pas une seconde que tout était énoncé au sens propre, que la métaphore n’existe que dans son esprit enflammé de littéraire, de l’albatros prisonnier cher à Baudelaire. - I’ve got no one. Only voices in my head, telling me i’m not worth anything. Un autre coup de couteau en plein coeur, sa gorge qui se serre, face à l’ampleur du chaos. - whose voices are they? Time to answer back don’t you think? Ça avait été sa réponse, à l’époque, face aux poings, face à tout. Lui qui n’était pas de taille à se battre, il avait au moins sa verve. You’ve got me. Est-il tenté de dire, sans toutefois que les mots ne franchissent ses lèvres. La main est toujours tendue.

Le problème d'Arthur, c'est qu'il n'a aucune idée de ce qu'est une seconde chance. Il ne sait pas à quoi ça ressemble, d'avoir quelqu'un qui croit en lui, prêt à lui tendre la main, sans rien attendre en retour, juste de vivre, de se choisir. Il pourrait rester, attendre que le jour se lève, en finir une bonne fois pour toute, ne plus ressentir cette peine qui le dévore, petit à petit, qui grignote sa volonté de vivre comme la marée s'empare de la berge. Il ne connaît que la honte dans le regard de ses parents, il a l'habitude de décevoir, de ne pas être à la hauteur, malgré ses efforts, malgré l'envie d'être le fils prodige qu'ils désiraient tant. Il n'a jamais été capable de se donner, corps et âme, aux doctrines de sa famille, de se plonger dans les lectures qui auraient dû éduquer sa violence et sa détermination, faire de lui un Fraser plus que par le nom. Il n'a jamais pu se faire à l'idée que certaines causes valent la peine de tout sacrifier, pas encore, un jour peut-être, un jour surement. Il n'a pas cette foi qui court si passionnément dans les veines de son clan, cette foi avec un grand F qui fait des siens des soldats, cette foi qui lui manque, qu'il ne parvient pas à apprivoiser, à saisir, à faire sienne. Il voudrait y croire, avoir des convictions. Il n'a plus que le sang de ces autres qui l'aident à survivre, créature infecte créée par les caprices du diable, prisonnier des ténèbres, enfant de personne.

Dans la nuit noire pourtant une main se tend. - I know how scary and lonely it gets, sometimes, and the pain that chokes you. But you are stronger than that even though you can’t see it just yet. L'ennemi d'antan choisit d'y croire pour lui, de prendre le temps de trouver les mots, ces mots qu'Arthur a toujours tant voulu entendre. You are stronger than that. Lui ne le voit pas mais si Achilles en est capable, peut-être qu'il pourrait se donner le bénéfice du doute, même rien qu'un peu, n'a-t-il pas une éternité pour y parvenir ? Mais les voix dans son crâne ne se taisent pas. Elles se répètent, sans arrêt, insatiables, avides de ses forces, elles exposent ses faiblesses, ne lui laissent que des espoirs tronqués. Même s'il se tient au dessus du monde, Arthur, il est cloué au niveau du sol, handicapé par ses propres démons, les ailes arrachées par la vigueur de ses échecs. - maybe all this is a sign telling you to let go of those chains; the past that holds you back. S'échapper, se défaire des chaînes de son enfance volée au nom des croyances, de son adolescence heurtée par les fureurs et les contraintes, tous ces secrets qui pèsent et qu'il a longtemps masqué derrière désinvolture et couardise, railleries et bagou. - Those chains. I thought I escape them once. They only took on another shape, a far more painful one. I tried to be my own man, to run away, to build something even if it meant nothing. I tried, Achilles. And what did I get for it ? Got turned into a monster... Il baisse les yeux, couvert de honte, incapable de supporter son propre reflet dans le regard d'Achilles. Achilles qui se tient toujours face à lui, la main tendue comme une promesse que, oui, les choses peuvent changer, que, oui, il suffirait de saisir cette chance, d'avoir un peu de courage, ce maudit courage qu'il n'a pas. Arthur ne voit qu'un lâche derrière ses cicatrices, chaque marque est un rappel qu'il ne vaut pas la peine d'être sauvé. Et pourtant Achilles reste là. Parce qu'il ne sait pas, parce qu'il ignore qui il est vraiment. Pour lui Arthur n'est qu'une petite brute, un lycéen capricieux et égocentrique, un gosse qui s'en prend à un autre parce qu'il est différent, pire, qui se tait alors que d'autres infligent les coups. Et si c'était ça dont Arthur avait besoin ? Si même l'adversaire de leurs années partagées sur les bancs de l'école peut voir en lui plus que ce qu'il parait, peut-être qu'il y a une chance, après tout. - whose voices are they? Time to answer back don’t you think? Il y a une étincelle de défiance, dans les pupilles du jeune homme, une lueur contagieuse qui prend le vampire au coeur. Il saisit sa main. Il s'y accroche avec la force du désespoir, plus fort qu'il devrait, mais en cet instant, cette main est la seule chose en laquelle il croit. - Those voices... qu'il admet, they are my parents' voices, my sister's, my teachers'... anyone I ever disappointed, reminding me what I've done wrong and worse, what I haven't done and who I wasn't able to be. Des aveux tremblants, qui font mal mais qui soulagent, comme partager le poids de cette vie qu'il semble avoir gâchée, même pour un court moment, se confier, se dévoiler. - They had given up on me, long before I died. I am not enough for them, I was never enough for anyone. I was only ever good at disappointing everyone.  Il resserre ses doigts autour de la chaire mortelle. - None of your books are written about guys like me. ajoute-t-il avec un triste sourire, il tait le reste de sa tirade, se trouve trop pathétique pour continuer, so why on earth do you think I am worth saving ?