L’eau ruisselle, longs jets brûlants; elle le débarrasse de la pellicule de sueur qui luit sur la peau marquée en tant d’endroits. Depuis son retour, le retour qui n’a rien d’héroïque ni de glorieux, il s’est perdu dans l’exercice physique, pour faire taire les démons qui hantent ses nuits, les cris et les pleurs qui déchirent le silence d’un sommeil qu’il n’espère plus vraiment. Exercice physique dont il s’abrutit, à s’en donner une overdose, si une telle chose existait. Le soir tombé, il retarde tant qu’il peut le moment de se retrouver encore une fois, seul avec ces terreurs terribles. Par chance, la propriété familiale est suffisamment spacieuse pour que ses angoisses nocturnes ne réveillent pas Ezra; le gamin qu’il a toujours considéré comme sien, depuis que sa mère est aux abonnées absentes.  
Finalement, c’est la sonnerie de son téléphone qui le sort de sa torpeur. Il est bien arrivé chez ses grands parents paternels, chez qui il passe habituellement la moitié des congés scolaires. C’est presque étrange de revenir à une vie rythmée non plus par les rondes et les embuscades, mais plutôt par les menus, les devoirs et les activités extra scolaires…Oh Edna, what have you done? Il se demande parfois où sa fuite l’a menée, la cadette aux boucles rousses.

La musique crache ses décibels, et elle parvient, l’espace de quelques heures, à contenir les chimères trop noires. Un verre de Scotch posé devant lui, sur le comptoir lustré de ce club qui a vu ses nuits de folie, ses agapes de jeunesse. Les visages ne sont plus ceux qu’il a connus sur ce même dancefloor, mais l’ivresse est la même. Il vide son verre d’une traite avant d’en commander un autre auprès du bartender qui lui lance un regard suspicieux. Ce soir, il fait un peu tâche dans ce paysage de jeunes adultes, venus user la résistance de leur primes années. Il se morigène, et se promet que c’est le dernier verre et qu’ensuite il retournera dans sa tanière, loup solitaire qu’il semble être devenu. Une jeune femme pourtant ne semble pas de cet avis puisqu’elle s’approche de lui, la démarche aguicheuse, se dandinant d’une façon vaguement sensuelle. - what are you doin’ on your own handsome? Elle murmure à son oreille, collée à lui sans aucune entrave, aucune gène. Il sourit, un peu gêné, trop poli pour la rabrouer, éducation oblige.

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Teintes pourpres, canapés de velour sombre, les néons dessinent sur les corps qui se mêlent des arabesques incandescentes. Cette masse mouvante comme autant de flammes qui s'embrasent et s'embrassent, mutation des êtres en une entité sublime de transpiration et de désir, multitude affamée, prête à s'entre-dévorer. Depuis son piédestal l'ange déchu observe son oeuvre, ses pupilles azures reflètent la débauche du genre humain, il sourit, le monde à ses pieds ne jurent que par ces quelques heures hors du temps, son cadeau à cette humanité démente, et il se repaît de leur extravagance, lui, divinité dans ce parterre d'infamie. Cet incendie brûle dans son regard aussi, parce que l'un ne peut connaître les secrets qui se terrent dans le fond des âmes sans en être proie lui-même. Dans cette foule infâme, qu'il admire et qui le dégoûte à la fois, Asmodeus, figure légendaire aux traits adolescents, aperçoit une silhouette qui appartient aux souvenirs. Lumières et ombres mêlées dessinent sur son visage les stigmates de son immortalité, il a dans le fond des yeux des fables plus anciennes que les hommes, une lueur dangereuse, pernicieuse, presque lugubre.

- He's not interested. Le ton sec, autoritaire, ne laisse pas le temps à la jeune femme de protester. Elle s'échappe et disparaît dans la mer de chair. Il s'accoude au comptoir et sans qu'il ne dise un mot, le barman lui sert un verre d'ambrée. D'un regard, il lui commande d'en servir un autre pour le chasseur. Il a changé. Ce que le temps inflige aux humains le déconcerte, à jamais incapable de comprendre leur mortalité, pourquoi son père torture sa chère création avec vieillesse et maladie et la perspective d'une fin inévitable. Ses épaules sont plus larges, il s'est fait homme, imposant, et pourtant Asmodeus le voit, ce poids qui pèse sur son squelette magnifique, qui lui courbe un peu le dos. Du bout des doigts il pousse le scotch vers cet étranger qui n'en est pas un, juste une version différente de ce qui l'a connu. - Glenturret, single malt, if I remember well. Un air de lui dire, Hello old friend, missed me?

Sans préavis, dans la frénésie et la dépravation ambiante, une voix le ramène dans un passé qui semble bien plus lointain qu’il ne l’est vraiment. Cette voix, il la reconnaîtrait entre mille, celle d’une histoire qui n’avait pas vraiment eu le temps d’éclore, mais dont l’intensité l’avait mis au tapis. La demoiselle ne se le fait pas dire deux fois et détale sans demander son reste, l’aura de celui qu’il ne pensait pas revoir - du moins pas ce soir et pas sous les traits qu’il a gardé en mémoire a opéré, elle n’a pas voulu tenter le diable.
Le barman, non plus ne semble pas y trouver à redire lorsque son compagnon d’un temps révolu commande les deux verres de Malt. - Glenturret single malt, if I remember well.

Quelques secondes interdit, ne croyant pas avoir devant lui le même adolescent, celui de ses premiers émois, le temps des premiers flirts avec le même sexe, défiant du même coup les vieilles maximes traditionnelles, l’autorité et les attentes du paternel. - I must be way more drunk than I realised. Lance-t-il, sans pour autant sembler plus surpris que ça, peut-être bien persuadé que son esprit embrouillé lui joue un tour, que c’est en fait le souvenir qui s’est ravivé, plus vivace et plus vrai que nature. - You look a lot like someone I used to know. Someone I loved in fact. Se corrige-t-il lui-même, pour lui-même. Il veut se persuader que ce n’est qu’une coïncidence, doublé d’un jeu malsain d’illusions. Il nie, probablement inconsciemment, pour éviter faire face aux implications, à la vérité parce qu’elle défierait beaucoup trop de choses qu’il pensaient établies, et la stabilité, même de ces idéaux falsifiés, est ce qui le maintient à flot et il ne peut pas renoncer à ça. Pas ce soir. Il porte le verre à ses lèvres, et étrangement, sans qu’il s’en rende vraiment compte, la connexion s’est faite. Il ne le dit pas à voix haute, mais il sait. Il fait l’autruche, parce que l’ignorance finalement est peut-être la clé d’un bonheur déjà trop illusoire pour se passer d’artifices.

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Le monde autour d'eux fusionne en une masse informe, il disparaît pour ne laisser que leurs deux silhouettes auprès du zinc. Comme vingt ans plus tôt, lorsque l'éternel s'était approché de l'humain, encore adolescent, encore aux portes des premières fois, hésitant mais déterminé. Il l'avait intrigué, parmi tous les hommes et les femmes qui vont et viennent dans son antre, Eion l'avait intrigué. Il était jeune, influençable, modelable - Asmodeus aurait pu le détruire, de cette manière si belle qui naît des promesses vides et des espoirs chimériques. Il s'était contenté d'être Ace, de vivre cette jeunesse qui lui échappe, ce qu'il n'avait jamais eu, il avait voulu découvrir ça avec lui. Alors au lieu de le ruiner, il s'était laissé prendre à construire quelque chose, à s'attacher à l'éphémère, à vivre ce passage à l'âge adulte par procuration, au moins pour un temps. Jusqu'à l'ennui, parce qu'Asmodeus s'ennuie toujours du genre humain. L'ennui n'était jamais venu, mais Eion était parti.

Et ce soir comme il y a vingt ans, sa présence ne lui a pas échappé. - I must be way more drunk than I realised. Pas la réaction à laquelle il s'attendait, le déni l'amuse alors il sourit en sirotant son whisky. Il perçoit le doute, observateur, il se délecte du trouble qu'il insuffle à son ancien amant. - You look a lot like someone I used to know. - Do I now ? Il rit à gorge déployée avant de terminer son verre, rapidement remplacé par son employé. - Someone you used to know. Répète-t-il, un rictus au coin des lèvres. C'était tellement plus que ça. Plus qu'une amitié ordinaire, plus intime que du sexe, ce qu'ils avaient partagé était un peu plus que ce qu'ils avaient imaginé, ils n'avaient jamais posé de mots sur leurs baisers, leurs échanges, sur ce moment de leurs existences un peu à part, un peu confus. Il se retourne, coudes sur le comptoir, faisant face à la foule, attitude délibérément nonchalante. I thought you knew enough about the world not to make up that kind of excuses, Eion. Il ne dit rien pourtant, laisse les minutes s'évaporer comme autant de chances pour Eion de le regarder, de comprendre, de se souvenir, de réaliser l'immensité de ce qui est entrain de se produire. Il tourne la tête vers lui. - How terrified are you right now, Eion ? Of what it could be, what it would mean? Look me in the eyes and tell me you don't know me.

Happé par le souvenir, il s’est figé, comme emmuré dans une sorte d’état second, comme prostré, coincé dans les limbes de sa propre mémoire, devenue ces derniers temps un labyrinthe hostile. La musique n’est plus qu’un lointain bruit de fond, à peine audible, que les formes immatérielles qui se dessinent devant ses yeux ont pris le devant de la scène, imposées à son regard. Quelques vingt années plus tôt, il n’était qu’un de ces ados insouciants, se contentant de dépenser l’argent d’une famille contre laquelle, dans le même temps, il était plus ou moins en rébellion. Il revoit tout, comme un film qui passe en accéléré, une bande rayée, qui se bloque sur certains visages, certains moments choisis.
Il y a les nuits, les draps partagés l’espace de quelques heures, et des promesses en filigranes, jamais énoncées. Comme la dernière fois qu’ils se sont unis, qu’ils n’ont plus fait qu’un, la veille de son départ. Il avait ce même regard étrangement profond, un regard qui semble sonder l’âme. Les traits sont identiques, absolument inchangés, pas une mèche de cheveux n’est différente d’à lors..

C’est impossible. Tout ce qu’il revoit, ces images d’autrefois, l’adolescent, et cette présence, bien réelle face à lui ce soir. Il sait. Il a reconnu - comment aurait-ce pu ne pas être le cas? Mais il ne veut pas. Faire face, c’était précisément ce qu’il était venu éviter. Oublier. Ne plus penser, ne plus se souvenir, parce que le flot le submerge et ce qui se dessine sur la berge inatteignable, n’est elle aussi qu’une moquerie de plus que lui jette la sournoise réalité. - Someone you used to know. Les mimiques, elles aussi, sont les mêmes. Il n’y a pas de doute possible. Il prend une autre gorgée de ce malt, plus longue que les précédentes, comme pour laver les ombres de ce passé qui ne l’est pas tout à fait. - How terrified are you right now, Eion? Of what if could be, what it would mean? Mais tout est bien réel. Trop réel. C’est plus qu’il ne peut encaisser pour le moment. - No. Le premier réflexe est de nier - It can’t... les pensées s’emmêlent. - How? Veut-il seulement le savoir? Il passe sa main sur son visage, espoir vain que tout finisse par enfin redevenir clair et limpide, mais par dessus tout, simple.

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Sans l'ombre d'un doute. Asmodeus n'a pas la réputation de perdre du temps en futilité, il va droit au but, sans arcane, sans détour, quitte à faire mal, surtout si ça fait mal, surtout si ça chamboule. Asmodeus se nourrit du chaos, de ces millénaires où se tissent les mensonges et les non-dits, des ordres et des choix qui détruisent les hommes, des doctrines et des idéaux et toutes les erreurs faites sur le chemin d'une grandeur grotesque et d'une nébuleuse terre promise. Il s'en régale, l'ange déchu, de l'hypocrisie, des combats, de ce dont les mortels sont capables de faire pour prouver qu'ils ont raison. And they say the Devil was prideful. - No. Eion est confus, il refuse la réalité, il le voit bien qui se débat avec ses croyances, son éducation, les amours d'un temps passé, l'impossible présent. Catéchisé à l'autel des illusions, trop humain pour se mesurer au divin et pourtant prétentieux au point de se dire porteur d'un message céleste. And the most horrible things ever done on Earth were done in the name of God. Un coup d'oeil vers les cieux, comme un pied de nez à l'Eternel.

- It can't... Ace Malone ne devrait être qu'un souvenir, un grand enfant abandonné à l'époque de ses premiers émois. - And yet... Les orbes céruléennes s'accrochent à l'héritier des Bothwell, il l'étudie, la crispation de sa mâchoire, les épaules qui se tendent, l'inconfort qui suit la compréhension, la main qu'il passe sur ses traits fatigués. Il sait. - How ? - I am pretty sure you know a thing or two about immortals. Sans entrer dans les détails, pas de suite, il le laisse reprendre son souffle, se faire à l'idée que son amour de jeunesse est une de ces créatures qu'il a juré d'éradiquer, même sans savoir ce qu'il est vraiment, parce que c'est ce qu'ils font, ces soldats de dieu, ils tuent, et ensuite ils posent les questions. - Now does that make me a monster in your book ? La vérité, peut-être, mais pourquoi ne pas s'amuser un peu, même à l'insu d'Eion, même rien qu'un peu. They call me a demon don't they ? Il saisit son menton du bout des doigts, le force à le regarder. - How does blasphemy taste on your lips, soldier ?

Il avait juste voulu s’évader, encore un peu plus longtemps, échapper aux griffes d’un monde qu’il ne reconnaît plus, une réalité qui le dépasse. Cargo avait semblé l’endroit idéal pour ça, s’oublier l’espace de quelques heures, une nuit peut-être, dans les bras d’un inconnu, pour ne pas penser, pour ne pas se souvenir, ne pas avoir la sensation d’être englouti par les formes terrifiantes de la culpabilité, de l’incertitude et de la confusion.
Au lieu de ça, il s’est jeté dans l’abysse, il est arrivé tout droit dans l’antre de ce loup, et ses fortifications ne résisteront pas; elles tremblent déjà devant ce visage qu’il avait parcouru autrefois, dessiné sous ses doigts, le regard embrasé des passions adolescentes. Ces traits qui auraient dû évoluer en même temps que lui, et qui pourtant sont restés figés, comme sculptés dans le marbre. Ce visage qui désormais, menace de faire s’écrouler tout ce qu’il a connu, ce qui l’a forgé, les fondations même de ce qu’il est et ça le terrifie. - I am pretty sure you know a thing or two about immortals. Il connaît la réponse à sa propre question. Il pourrait déduire, s’il s’en donnait la peine, mais savoir a quelque chose d’étrangement dérangeant.

Pourtant, il n’est pas un lâche, Eion. Il n’a jamais reculé devant la peur, c’était ce qui avait fait de lui une bonne recrue à l’époque, un bon soldat ensuite. Cette force qui l’avait toujours habitée, elle semble s’être amenuisée. - I do, yes. Il ne pose pas la question parce qu’une part de lui, a déjà compris. Ace n’a jamais fui la lumière du jour. - Now, does that make me a monster in your book? Peut-être que oui. S’il s’en référait aux principes qui lui ont été inculqués, qui ont guidé ses actions il n’y a encore pas si longtemps. Il est incapable de répondre, parce que le coeur lui, se souvient, et le tiraillement est insupportable. - I’m going to need another one of those... Lance-t-il en vidant le contenu de son verre d’une traite. Les doigts de son ancien amant - un frisson parcourt son échine à cette pensée, est-ce de l’effroi? Ou un vestige de désir - le force à le regarder, à affronter les iris glacées. - How does blasphemy taste on your lips, soldier? Quelque chose s’est brisé, dans les yeux du nouveau représentant des Bothwell, une nouvelle croix qu’il porte, un poids sur la conscience. - oh, i’m no longer a soldier. Soldier of god? Mais que vaut un soldat qui tue l’un des siens? Et Dieu? La mort, l’odeur de la poudre, la souffrance et la peur dans le regards de ses semblables avant de rendre leur dernier soupir. Pourquoi l'autorise-t-il?

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Asmodeus apprécie l'ironie, elle le distrait, ça le fait rire même. Des millénaires d'existence et jamais le genre humain n'a manqué de le décevoir. Pas une fois. Jusqu'à Eion. Malgré son éducation manichéenne, malgré son nom. - I do, yes. Of course you do. So, what am I to you ? Un monstre ? Parce que c'est ainsi qu'il a grandi, entre la haine et la déception, soldat de dieu, catholique profane. Ace n'a jamais prétendu être droit, il n'a jamais eu l'audace de prétendre être ce qu'il n'est pas. Il a ses idéaux, le divin, tordus, dérangés, peut-être, mais au moins il assume ses traits les plus sombres, création céleste qui n'est chez elle que dans les entrailles d'un enfer glacial ou sous les néons couleur carmin. Un pied dans chaque monde, immortel et imparfait. Just as God intended. Oh, ironie.

- I’m going to need another one of those... - Keep 'em coming... qu'il lance au barman, ... he's going to need them. cette fois il s'adresse à Eion, sans aucune finesse, il ne laisse aucun doute sur ses intentions. You're not going anywhere until we had that conversation. Mais son dessein final est incertain, volontairement flottant sur la fine ligne entre le conflit et l'entente, rien ne l'empêcherait, ici, sur son territoire, de se débarrasser de ce témoin de son existence. Ses ruses ne sont pas efficaces quand elles affrontent les souvenirs. Certaines choses ne se règlent que dans le sang. Il y a des choses qui ne s'effacent pas, qu'importe s'il les manipule, qu'importe s'il les torture. Ça ne se détruit pas, un premier amour. Qu'importe, il se sent étrangement protégé par la force des émotions de l'humain - il sait, il peut lire les signes. My secret is safe with you. Il le lit dans le regard perturbé du soldat. - oh, i’m no longer a soldier. Oh but you are, and so am I. Il les voit, les combats qui ne cessent jamais derrière la barrière de ses prunelles, il entend le bruit des armes, qui chargent, qui tirent, qui explosent, il discerne les suppliques parmi les cris. Il y autant de démons qui le dévorent dans sa caboche de vétéran que dans les cercles infernaux. - but there will always be a war. Il n'a pas lâché son emprise, il s'est même rapproché un peu, perfide, résolu. - there will always be a side to pick. Il parcourt l'âme d'Eion comme l'un consulte les pages d'un livre, brutalise son subconscient, néglige les barricades de la lutte qui fait rage en dedans. - something happened. and I believe you're not sure which side you're on anymore.

L’emprise de l’immortel qui ne faiblit pas, au contraire, l’étau se resserre sur son esprit déjà aux prises avec les ombres menaçantes du retour, le fardeau du blâme, du déshonneur, une chute qui n’en finit pas, vers les tréfonds d’un enfer qui semble s’être ouvert sous ses pieds, qui le poursuit jusque dans les moindres recoin, sans répit. Derrière les iris horizon, les ruines sont fumantes, il n’y a plus que des lambeaux de ce qu’il a été, de tout ce terreau au fondement de ce qu’il est, de l’homme qu’ils ont forgé. - Keep ‘em coming.. Entend-t-il malgré tout, l’instruction au barman qui coopère sans broncher. - may as well get the whole bottle. Il a prononcé ces mots machinalement, dans une tentative qu’il sait vaine, de rendre les choses moins dramatiques et moins cruelles qu’elles ne sont. Il ne se fait pas d’illusion pourtant. Il a passé l’âge de se cacher derrière des fables; son père, sculptant en lui son héritier, avait fait en sorte qu’il ne soit jamais aussi faible pour avoir recours à des détours inutiles. Jamais il n’avait enrobé la vérité, et le fils avait suivi dans les traces du paternel.

La détermination se lit dans le regard de l’ancien amant, une dureté qu’il n’avait jamais vue dans les prunelles céruléennes, une froideur qui glacerait le plus téméraire et le plus valeureux de ces chevaliers auto-proclamés de ce Dieu qu’il commence à remettre en question. - there will always be a war, there will always be a side to pick. La vérité est tranchante, implacable, et s’il aurait voulu s’y dérober un peu plus longtemps, au moins encore quelques heures volées à ces lacérations supplémentaires qui s’ajoutent aux maux de l’âme. Il sait que c’est inévitable, surtout ici, à Inverness, qui n’a jamais été apaisée, aussi tranquille qu’elle ait pu paraître à l’oeil inexpérimenté. - something happened. And I believe you’re not sure which side you’re on anymore. C’est un fait, et l’entendre énoncé à voix haute ne le rend que plus réel, plus terrifiant. - So many things happened… par où commencer… il prend une nouvelle lampée de scotch pour se donner du courage, oubliant tout des néons, des décibels et des corps mêlés à quelques pas de là. - I made an impossible choice. La voix faiblit déjà, un éventail d’émotions qui surgissent et le prennent à la gorge. Il revoit le visage du compagnon d’armes, ce regard qui le fixe encore, d’outre-tombe, empli de terreur et de questions muettes. - A disgrace. C’est comme ça qu’il se perçoit, trahissant un serment pour un autre, car aucun ne peut coexister avec l’autre, grand écart destructeur. Il y a tellement de honte, qui entour le geste irréparable, commis à l’époque sans l’ombre d’un doute. - It was how I was raised. But the fact remains; I murdered one of my own. Larmes de frustration, de rage et de culpabilité au bord des yeux; il serre les poings, pour les retenir, parce qu’il ne mérite pas la rédemption pour cet acte définitif. Quel piètre exemple pour Ezra.

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Le goût délicieux de la victoire efferve sur le bout de sa langue, insidieuse et inévitable. Il ne connaît pas la défaite, Ace, il ne croit pas qu'il puisse perdre, jamais, parce qu'il se tient du côté de la vérité, aussi implacable soit-elle, qu'importe la douleur et le tourment. - So many things happened… Il sait, il le voit, il n'ignore aucun tressaillement, aucune respiration ratée. Ça lui ferait presque mal au coeur, si seulement il en avait un, enfoui là sous des millénaires de ruse et d'infernale comédie. Chérubin rebelle qui erre, sur une planète qui ne lui était pas destiné, à la recherche d'âmes damnées, d'égarés, d'humanité ravagée par ses propres désirs, des désirs qu'il attise de quelques mots, qu'il réveille du bout des lèvres. Approche infaillible de celui qui n'a que trop bien pratiqué son art. - I made an impossible choice. Un regard vers l'humain qui se débat avec des souvenirs encore trop vivaces. Ace soupire, les cartes s'abatte une à une, il reconstitue les événements en additionnant les révélations qui viennent au compte-gouttes. Il mélange son propre jeu, prêt à dévoiler sa main, toujours sur ses gardes. - You did what soldiers always do: follow orders.

Tant de haine, tellement de regrets, palpables dans l'air autour d'eux, il lui semble qu'il pourrait presque les saisir, il n'a qu'à tendre la main et emprisonner entre ses doigts avides les cruelles lamentations. - A disgrace. - Debatable. It's only death, after all. La mort n'est rien, pour l'immortel, la suite du voyage, à peine un détour, avant l'enfer ou le ciel, home or history. - It was how I was raised. But the fact remains; I murdered one of my own. - How we are raised only defines us until we decide otherwise. Until we break ourselves free. L'ironie ne lui échappe pas, lui l'enfant céleste aux instincts mutins et révolutionnaires, lui l'ange aux ailes abîmées, teintées de cendre et de sang. - Murder or mercy, there's a thin line. qu'il enchaîne, ayant finalement déduit l'objet des remords. - The poor bastard that was possessed would probably thank you if he could. Sa façon de le consoler, une manière bien misérable de démontrer un brin d'empathie tout en exposant la terrible vérité. Ace n'a pas plus d'affection pour les démons que les hommes, comme toutes créatures qui foulent le sol magique de cette ville, mais il s'est fait à l'idée qu'il est un peu de tout, il y a un peu de lui dans chaque être surnaturel, un peu de tous ces monstres en lui, aussi, ni trop l'un ni trop l'autre, brouillon de ce qu'ils sont tous devenus, création originelle. - It's maddening, the doubt, the constant asking oneself: was it actually worth it ? I am not offering an answer, merely the truth, so you can make up your mind, free of the poisoned stories they've been teaching you.

Il a le tournis, Eion. Tout vacille, tout se floute autour de lui. Les corps entremêlés, qui se déhanchent sur le dancefloor ne sont plus que des figures semblables à des zombies, anesthésiés par les décibels et toutes les substances plus ou moins légales qui courent dans leurs veines. Est-ce l’alcool? Le poids de sa propre conscience, venin partagé, partiellement, mais qui empoisonne toujours son esprit. Qui l’emprisonne, l’enchaîne à ses propres liens, ceux d’un trop plein de tout, farandole démoniaque de l’incertitude et de la culpabilité. - you did what soldiers always do: follow orders. Les ordres. Se battre pour une cause, croire à quelque chose de plus grand que soi, de plus noble. Il a troqué une pour l’autre; la suprématie de la race humaine, la patrie, mais le fanatisme de la première n’a jamais desserré ses griffes, elles déchirent aujourd’hui son âme, les lambeaux sont tout ce qu’il en restent. Les ruines, comme celles des terres désolées après le passage des raid aériens. La vie qui peine à reprendre ses droits. Il revoit ces paysages tristes, déchiquetés, ces maisons tremblant sur leurs fondations. Il pense à ce compagnon d’arme, à ceux qu’il laisse derrière, et ces images ne le quittent pas; une famille de plus détruite. - The poor bastard that was possessed would probably thank you if he could. Maigre consolation. Le poing se resserre sur le verre vide, étau comme celui qui comprime le coeur trop lourd; il déteste ce qu’il est devenu. Le verre se brise, et les éclats qui s’enfoncent dans la chair ne le font même pas réagir. Il ne s’est même pas rendu compte. - but his family wouldn’t. A child asking why his father never came back. Une fois de plus, la voix se brise. Un enfant qui aurait pu être Ezra...

Dans le brouahah ambiant, le tonnerre de ses propres pensées, il n’a pas relevé la remarque de son ancien amant, il ne pense même plus à ce visage qui n’a pas changé d’un cheveu. Il lève le regard, enfin, au bout de quelques minutes qui ont paru une éternité. Les lèvres continuent de bouger, et le son parvient de nouveau à ses oreilles - it’s maddening, the doubt, the constant asking oneself: was it actually worth it. La réponse est non. Il discerne les contours de cette hypothèse, à la fois accablante mais aussi étrangement salvatrice. - I am not offering an answer, merely the truth so you can make up your mind, free of the poisoned stories they’ve been teaching you. Il ne saisit pas toute la portée de ces paroles, peut-être l’esprit malgré tout trop embué par les vapeurs de l’alcool. Il répète dans un murmure, plus pour lui-même, comme s’il cherchait à apprivoiser le sens des mots prononcés. - poisoned stories? Il y a autre chose, une autre porte à ouvrir, sur un autre monde. Moins noir? Il en doute, il n’y croit pas vraiment mais, ça serait trop beau. Probablement moins manichéen. Peut-être?